Par Dr. Mohamed Cherif Belmihoub
UN EVENEMENT MAJEUR DANS L’HISTOIRE ECONOMIQUE DE L’ALGERIE
La décision audacieuse et courageuse de nationalisation des hydrocarbures prise le 24 février 1971 est restée jusqu’à aujourd’hui un évènement majeur de l’histoire économique de notre pays. En effet, après les accords d’Evian, la décision de nationalisation des hydrocarbures est à la fois une décision d’une grande importance par son aspect économique et surtout par son caractère politique puisqu’il s’agit d’un acte de la récupération de la souveraineté et de son exercice sur les ressources naturelles du pays. C’est aussi une décision géopolitique, elle intervient après celle de Mossadegh en Iran en 1953, lorsqu’il a voulu nationaliser le pétrole iranien dont l’exploitation était dominée par les compagnies britanniques. Ce qui a conduit à un coup d’Etat et à sa mise en résidence surveillée jusqu’à sa mort en 1967. La décision de 1971 a été suivie par d’autres pays se trouvant dans une situation de domination pour l’exploitation de leurs ressources naturelles. La décision algérienne a été préparée dans une discrétion totale, ni la France et ses services très présents en Algérie, ni les autres pays occidentaux n’ont rien vu venir. On raconte que les USA étaient dans la confidence, pour avoir sa neutralité en cas de crise grave avec la France. La préparation a pris plusieurs mois par une équipe restreinte autour de feu Boumediene. Belaid Abdeslam était le maitre d’œuvre de cette préparation. Il faut dire que certains pays amis étaient informés pour d’une part préparer la relève technique des personnels français et d’autre part faire face à une éventuelle déstabilisation par la France, grand bénéficiaire des différents accords depuis 1962. Parmi ces pays, on peut citer l’URSS et l’Italie.
LA SOUVERAINETE : UNE DIMENSION POLITIQUE MAIS AUSSI ECONOMIQUE.
Pourquoi cette décision de nationalisation des hydrocarbures avait une importance particulière ? Il va sans dire que la souveraineté ne doit pas se limiter à sa dimension politique, elle doit s’étendre aussi au domaine économique et particulièrement à l’exercice d’un contrôle effectif et sans contrainte sur les ressources naturelles du sol et du sous-sol. En plus de la question de souveraineté, au plan économique, l’Algérie post indépendance avait des besoins immenses pour construire une économie viable et satisfaire les besoins d’une population longtemps privée des conditions minimale de la vie, un chômage endémique, un exode rural des populations paupérisées et laissées pour compte durant toute la période coloniale vers des villes, elles aussi paupérisées, à la recherche d’un emploi et d’un gite. Les besoins étaient immenses alors que les moyens de l’Etat sorti d’une colonisation sauvage, étaient très limités. Les ressources naturelles, comme dans de nombreux pays, constituent une source pour bâtir une économie nationale. La récupération des ressources naturelles était devenue une question centrale à la fois du point de vue politique qu’économique. La nationalisation des hydrocarbures donnait à l’Algérie sa source d’accumulation primitive. C’est ça l’esprit de février 1971, qui vient compléter celui de novembre 1954. Il faut le dire, après 1971, l’Algérie s’est métamorphosée par un programme ambitieux d’industrialisation et d’équipement tous azimuts. Et depuis cette date, les budgets algériens « sentent » toujours les hydrocarbures. Les infrastructures, la médecine gratuite et l’éducation massive ainsi que les multiples subventions et transferts directs ont été rendus possibles grâce aux produits des hydrocarbures. C’est ce qu’on appelle communément la rente. En Algérie, l’usage de la rente et sa répartition ont été des plus équitables comparés à d’autre pays dotés de la même ressource naturelle. C’est encore une fois l’esprit de novembre et sa déclaration qui a mis la justice sociale comme l’un des objectifs ultimes de la lutte d’indépendance. Cette rente n’a pas, malheureusement, permis de créer les conditions objectives pour un développement endogène et autoentretenu qui aurait créé une alternative à cette ressource non renouvelable ; au contraire elle a maintenu une dépendance. Certains vont jusqu’à dire que cette rente est une malédiction (il y a même un courant en économie qui développe la théorie de la malédiction des ressources naturelles). Le problème n’est pas dans l’existence de la rente, mais dans sa gestion et son usage.
Aujourd’hui, avec l’évolution démographique et l’accroissement des besoins, la rente des hydrocarbures peut s’avérer insuffisante, alors que les alternatives ne sont pas encore bien ancrées, comme la diversification des exportations, la compétitivité des entreprises, l’investissement privé et étranger… in fine, c’est encore le budget qui supplée aux défaillances des autres secteurs, mais jusqu’à quand ? Une chose est sûre : les besoins du pays en énergie sont largement couverts et le seront pour de nombreuses années encore. L’Algérie est assurée d’une sécurité énergétique portée par une souveraineté sur les ressources.
A l’occasion de la commémoration du 24 février 1971, le Club Energy (une association nationale de réflexion et d’étude sur les questions énergétiques, un Think tank) a organisé une grande Conférence le 22 février 2025, sur le thème : « Quelle Vision énergétique pour l’Algérie dans l’esprit du 24 février 1971 ? ». Au cours de cette conférence, des exposés ont été présentés par d’éminents conférenciers dont deux anciens ministres de l’énergie (MM. Boussena et Ait Laoussine). Les questions sur l’avenir des ressources énergétiques ont été abordées sous de multiples angles : réserves, production, valorisation, consommation et besoins futurs, exportations, évolution des marchés, prix et géopolitique de l’énergie…
LA NECESSITE D’UNE NOUVELLE VISION POUR LE FUTUR : VALORISATION ET ARBITRAGE ENTRE LES BESOINS ET L’EXPORTATION
On retiendra que les hydrocarbures en Algérie continueront à alimenter les secteurs d’activité et les ménages en énergie à des prix fortement subventionnés et à alimenter les budgets publics en ressources fiscales, sauf que pour ces derniers les ressources sont de moins en moins abandons ; l’arbitrage entre la consommation domestique et l’exportation est très difficile à faire, mais la consommation interne aura le dernier mot. C’est pourquoi, le recours à d’autres ressources et à une rationalisation de la consommation deviennent une exigence de durabilité de notre système énergétique… Il est devenu urgent d’accélérer le développement des énergies nouvelles. La géopolitique gazière impose aussi de nouvelles stratégies de valorisation au mieux de notre gaz. Une politique volontariste dans le gaz est nécessaire, car les volumes de gaz qui vont arriver sur les marchés sont importants ; les USA vont doubler leur production, les Qataris vont créer un corridor de gazoduc par la Syrie pour offrir du Gaz sur le marché européen. Les autres marchés seront fournis par le GNL, c’est le cas notamment de l’Asie (Chine, Corée du Sud, Japon…). La valorisation par l’intégration dans les industries (ciments, aciers, engrais, agriculture….) est souhaitée, car elle peut donner une compétitivité au produit algérien à l’exportation. Aujourd’hui cette intégration se fait mais à des taux trop élevés (le gaz et l’électricité utilisés par l’industrie sont livrés au 10ème de leurs prix), ainsi nous assistons à un transfert de rente de l’Etat vers des entreprises commerciales qui de surcroit pour certaines sont des sociétés étrangères et qui vont par conséquent transférer cette rente à leur société-mère à l’étranger. Une trop forte subvention annihile tout effort de recherche de compétitivité et obère les ressources du pays ; il faut trouver ce niveau optimal de subvention. L’arrêté pris par le Ministère de l’énergie va dans ce sens, mais il ne fixe pas ces seuils de subvention(ou de rétrocession). Si le marché du pétrole est mondialisé, celui du gaz est très singulier et obéit à des considérations à la fois technique et commerciale. Pour le pétrole, les enjeux sont moindres pour l’Algérie, d’abord l’Algérie n’est pas un grand producteur et les nouvelles découvertes sont peu nombreuses ; le marché est plus fluide et la production algérienne de près de 1.2 millions de barils/Jour dont près d’un million de barils exportables ne pose aucun problème. Il faut toutefois considérer, avec beaucoup d’attention, l’augmentation de la production américaine qui va égaler ou dépasser l’addition des productions de la Russie et de l’Arabie Saoudite (20 millions de barils/jour) ; le marché en sera certainement impacté. Dans tous les cas, les prix du pétrole, comme ceux du gaz sont très volatiles, ce qui perturbe la budgétisation régulière des ressources pour un développement continu et harmonieux. Le développement des énergies renouvelables et la rationalisation de la consommation doivent être des actions stratégiques dans les politiques publiques si l’on veut sauvegarder notre sécurité énergétique interne et nos moyens de financement du développement.
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=4165