Par Merahi Reda,
Docteur et chercheur en énergie
Dans les systèmes électriques modernes, le réseau de transport d’énergie joue un rôle fondamental. En effet, il relie les sources de production aux points de distribution à travers des lignes et des postes de transformation. En Algérie, le réseau électrique a bénéficié d’investissements massifs, ce qui le positionne parmi les infrastructures énergétiques majeures du pays. Cependant, un réseau national seul peut parfois être insuffisant pour prévenir ou surmonter des crises graves, telles que des délestages ou des coupures généralisées. Par conséquent, face à ces menaces, de nombreux pays optent pour des interconnexions transfrontalières, garantissant ainsi des réserves supplémentaires et une sécurité d’approvisionnement accrue.
L’Algérie, déjà connectée à la Tunisie et au Maroc, ambitionne depuis plusieurs années de se lier directement à l’Europe. Cet article examine les défis et les opportunités associés au projet d’interconnexion sous-marine Algérie-Italie.
L’importance cruciale du réseau de transport
En général, le réseau électrique joue un rôle primordial en assurant l’acheminement de l’énergie des centrales de production vers les postes de distribution. En cas de panne d’une centrale, la continuité du service peut être maintenue grâce à la mobilisation de réserves : soit la « réserve chaude » en augmentant la puissance des autres unités connectées, soit la « réserve froide » en démarrant des unités de production à l’arrêt. En cas de défaillance d’un poste ou de plusieurs, la continuité du service peut être assurée grâce aux lignes de secours, qui permettent de rediriger l’énergie vers d’autres parties du réseau, évitant ainsi les interruptions de l’alimentation électrique.
Cependant, si la panne survient au niveau du réseau lui-même, l’évacuation de l’énergie devient parfois impossible jusqu’à la réparation de la ligne endommagée, Donc, le réseau est considéré comme la colonne vertébrale de l’énergie, assurant la continuité du service dans un système électrique.
Par ailleurs, le développement du réseau de transport est essentiel pour garantir l’efficacité du système. Cela implique non seulement la construction de nouvelles centrales, y compris celles à énergies renouvelables, mais aussi la mise en place de nouvelles lignes de transport, postes de transformation, et le renforcement des réseaux de distribution.
En effet, vu l’importance stratégique de cette infrastructure, elle reste sous contrôle gouvernemental et est exclue de la privatisation, bien que des ouvertures partielles puissent concerner la production et la distribution. De plus, le réseau est encadré par des réglementations strictes, notamment en matière d’exploitation et de maintenance (O&M), avec des restrictions d’utilisation des terrains sous les lignes électriques, sauf pour des activités agricoles.
Le réseau électrique de transport connaît une transformation radicale. Selon le communiqué de Sonelgaz concernant les réalisations majeures de 2023, la longueur totale du réseau atteint 34 516 km et comprend 414 postes de transport, ces chiffres devraient évoluer d’ici 2030 grâce aux différents projets programmés. De plus, le réseau électrique bénéficiera d’une nouvelle configuration grâce au projet d’interconnexion du réseau nord avec la boucle d’Adrar (PIAT), ce qui permettra d’améliorer la qualité de service dans la région Sud-Ouest du pays.
La puissance installée, actuellement de 25 GW, va augmenter avec l’achèvement des projets en cours, et 3 GW supplémentaires d’énergie photovoltaïque viendront renforcer cette capacité. Par conséquent, un réseau électrique à la hauteur de cette production est indispensable pour gérer efficacement cette puissance en cas de besoin.
Ainsi, avec cette évolution constante, le réseau est capable de soutenir la croissance industrielle et urbaine du pays. Néanmoins, pour garantir un fonctionnement optimal, il est nécessaire de continuer à investir dans le développement des lignes de transport et des postes de transformation.
Interconnexion entre les régions et les pays
Face à la croissance démographique et industrielle, le réseau électrique est soumis à une pression croissante pour acheminer l’énergie active et réactive, tout en répondant aux fluctuations de la demande. Les opérateurs système, ou « dispatchers », surveillent en permanence la stabilité du réseau et préparent des plans de défense pour faire face à d’éventuelles anomalies. Plus les réserves chaudes et froides sont importantes, plus les dispatchers sont rassurés, cependant, le réseau peut aussi nécessiter des solutions supplémentaires, comme l’interconnexion avec d’autres régions ou pays.
En général, les interconnexions entre régions présentent plusieurs avantages :
- Sécurité d’approvisionnement : L’échange de puissances entre régions permet de pallier les déficits ou de vendre l’excédent, réduisant ainsi les pannes.
- Réduction des coûts : Grâce à l’interconnexion, une région peut acheter de l’électricité à moindre coût au lieu de produire localement, optimisant ainsi ses ressources.
- Stabilité et flexibilité du réseau : Plus le réseau est interconnecté, plus il est stable et capable de gérer les fluctuations de charge et l’intégration des énergies renouvelables.
Il est donc essentiel de renforcer les interconnexions entre les régions pour garantir la sécurité d’approvisionnement, réduire les coûts et améliorer la stabilité et la flexibilité du réseau.
La coopération de l’Algérie avec la région maghrébine
La coopération énergétique entre les pays maghrébins a débuté bien avant la création de l’Union du Maghreb Arabe en 1989. En effet, dès 1972, le Comité Maghrébin de l’Électricité (Comelec) a été créé, avec pour mission de renforcer les lignes d’interconnexion, d’échanger des informations et de coordonner les programmes. Depuis, plusieurs lignes ont été mises en service entre 1984 et 2009, reliant l’Algérie à la Tunisie et au Maroc.
Par ailleurs, l’Algérie s’efforce également de renforcer son réseau vers l’Europe, en particulier avec l’Italie et l’Espagne, en raison de leur proximité géographique.
Le projet Medlink entre l’Algérie et l’Italie
Le projet d’interconnexion de l’Algérie avec l’Europe n’est pas récent ; il remonte aux années 90, lorsque l’Algérie a entamé des discussions avec l’Espagne et l’Italie pour réaliser des lignes d’interconnexion électrique. Ce projet s’inscrit dans le cadre de la boucle électrique méditerranéenne MedRing, qui vise à raccorder plusieurs pays de la Méditerranée dans une boucle électrique. L’Algérie prévoyait d’interconnecter l’Espagne par deux câbles d’une capacité de 1 000 MW chacun et de relier l’Italie par deux câbles de capacité de 500 MW. Bien que ces projets n’aient pas été réalisés dans les délais fixés pour diverses raisons, le dossier reste ouvert et les négociations se poursuivent avec les différents partenaires européens.
En effet, selon un communiqué de Sonelgaz, cette dernière, Sonatrach et l’entreprise italienne ENI ont signé un protocole d’accord le 31 août 2024 en Italie, afin d’entamer l’étude de faisabilité d’un câble électrique sous-marin, dont la capacité n’est pas encore officiellement définie.
Ce projet offre plusieurs opportunités pour le réseau algérien, notamment :
- Interconnexion avec l’ENTSO-E : À l’achèvement de ce projet, l’Algérie sera connectée non seulement avec le réseau italien, mais aussi avec le réseau interconnecté européen ENTSO-E, qui regroupe 36 pays. Cela permettra des échanges de puissance selon la capacité du câble sous-marin.
- Exportation d’électricité : Cette connexion ouvrira des opportunités pour l’Algérie d’exporter sa surproduction vers l’Europe et lui donnera accès à des marchés d’échange tels qu’EPEX SPOT, Nord Pool et APX Group. Il est important de noter que les centrales électriques sont conçues pour fonctionner dans des conditions normales, mais l’arrêt des groupes en raison de réserves importantes sur le réseau peut affecter leur bon fonctionnement. Grâce à cette connexion, Sonelgaz pourra mieux exploiter les groupes de production disponibles à l’arrêt en fonction de la demande des pays européens.
- Compensation des difficultés de puissance : La connexion électrique avec l’Italie permettra au réseau algérien de compenser les difficultés de puissance en provenance du réseau européen en cas de besoin, grâce à la rapidité d’échange des réserves chaudes tournantes, plutôt que de recourir à des réserves froides locales qui peuvent prendre beaucoup de temps. Ces échanges en mode de réception amélioreront la flexibilité et la sécurité du réseau en cas de pics de puissance ou d’avaries.
Cependant, cette connexion électrique présente également quelques défis, à savoir :
- Conformité aux normes européennes : L’Algérie devra se conformer aux normes et régulations européennes et s’aligner sur ces standards techniques et commerciaux, notamment en matière de gestion des flux d’énergie et d’infrastructures de transport, afin de participer aux marchés européens de l’électricité.
- Compétitivité des prix : Sonelgaz devra proposer un prix du kWh compétitif pour pouvoir rivaliser avec les prix des autres compagnies d’électricité européennes, tout en tenant compte que plusieurs pays disposent de centrales nucléaires et hydrauliques considérables, qui représentent un coût de production généralement plus faible.
- Maintenance et fiabilité du câble : L’Algérie doit veiller à la maintenance et à la fiabilité de ce câble en collaboration avec l’Italie, car il doit résister aux différentes conditions climatiques liées à son parcours à travers la mer Méditerranée.
- Sécurité d’approvisionnement : Un autre point crucial pour l’Algérie est d’assurer la fiabilité et la sécurité d’approvisionnement, en garantissant sa capacité à maintenir un approvisionnement régulier ainsi qu’à offrir une qualité d’énergie optimale.
Conclusion
Le projet d’interconnexion électrique entre l’Algérie et l’Italie via un câble sous-marin représente une avancée majeure pour la coopération énergétique entre les deux pays et avec le continent européen, qui possède le plus grand réseau interconnecté au monde. Ce projet permet à l’Algérie de renforcer les capacités de son réseau électrique et d’échanger de l’énergie avec l’Italie, tout en contribuant à la diversification des revenus énergétiques grâce à l’exportation de la surproduction d’électricité.
En effet, ce projet constitue une opportunité pour l’Algérie de développer ses relations énergétiques par la coopération en matière d’électricité avec les pays européens, tout en lui offrant une expérience pour se confronter aux marchés d’échange d’électricité internationaux. Toutefois, plusieurs défis doivent être relevés pour assurer le succès de ce projet.
De plus, l’Algérie doit envisager d’autres projets similaires avec d’autres pays, tant en Europe qu’avec des pays voisins africains. Ces initiatives seront réalisables une fois le projet de connexion du réseau national avec la boucle d’Adrar achevé.
Ainsi, le projet d’interconnexion de l’Algérie avec l’Italie représente une avancée significative dans le développement des secteurs de l’électricité et du réseau électrique. Il illustre la stratégie à long terme de l’Algérie visant à réaliser une interconnexion électrique à l’échelle internationale, au-delà de la région maghrébine.
Références :
[1] Abdenour Keramane MEDENERGIE, la Boucle électrique le marché euro-méditerranéen de l’électricité, N°11, SEPTEMBRE 2010.
[2] Procedure For Cross Border Cost Allocation Application (Cbca), Mediterranean Project 2 (2018-2020) May 2020.
[3] Mediterranean Masterplan 2020, MEDITERRANEAN PROJECT 2 (2018-2020), January 2021.
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=4105
