Dans cet entretien, ce spécialiste en énergie et, particulièrement, du secteur des hydrocarbures présente un bilan sommaire de Napec 2021 et les opportunités d’investissement dans le domaine minier national. Il aborde, également, le potentiel en hydrocarbures de l’Algérie, l’état de mise en œuvre de la nouvelle loi ainsi que l’intérêt actuel des compagnies étrangères à s’engager dans l’exploration et le développement de gisements.
Propos recueillis par Khaled Remouche
Reporters : Quelles conclusions tirez-vous de Napec 2021, considéré comme le plus grand évènement dédié aux hydrocarbures en Afrique du Nord, qui s’est tenu du 8 au 11 novembre dernier à Oran ?
Ahmed Mechraoui : Le Napec 2021 était face à un défi qui vient d’être relevé avec beaucoup de professionnalisme qu’a démontré l’équipe organisatrice de cet évènement. C’est une grande réussite dans un environnement caractérisé encore, en Algérie, par la Covid-19. Ce qu’il faut retenir, c’est que Napec 2021 a permis quand même de réaliser l’ambition qui lui était assignée, regrouper dans une grande manifestation les professionnels de la chaîne des hydrocarbures et les activités plus ou moins liées au secteur. Je pense qu’il faut dire un grand merci à Monsieur Yacini, premier responsable de Napec, et à toute son équipe.
Quelle est votre appréciation de la qualité des thématiques abordées, des débats et de la qualité de la participation des professionnels du secteur ?
Le programme technique de la conférence a été structuré en deux types de conférences. D’abord, tout ce qui est stratégique a été organisé en panels. Un panel est un lieu d’échange de points de vue, d’approche, de vision. Les panels ont abordé l’avenir de l’industrie pétrolière, le rôle du partenariat à travers des projets communs, particulièrement, au niveau local et dans une stratégie globale, les différents impacts du changement climatique sur l’industrie pétrolière. Cela portait non pas sur des constats mais, surtout, sur les tendances futures que prendrait cette industrie. En parallèle, il y avait les sessions techniques qui mettaient en face de tout le monde les nouvelles technologies : l’apport de la technologie, les différentes applications qui sont, soit dans le marché, soit, en cours de phase de recherche et de développement. Nous avons assisté à des présentations de niveau. La conclusion de toutes ces sessions, c’est que la technologie a énormément aidé et continuera à aider le développement des activités hydrocarbures tout en essayant de protéger l’environnement, à savoir par la réduction du CO2. Les tendances de cette réduction à l’horizon 2050-2060 sont annoncées par certaines sociétés, par certains pays même, à savoir atteindre zéro carbone à cet horizon. Le niveau des conférences était assez élevé. La participation étrangère aux conférences était remarquée et celle des professionnels de Sonatrach et d’autres acteurs nationaux était importante. L’élément à relever est l’afflux d’exposants. L’espace de l’exposition a été complètement utilisé. Des centaines de sociétés étrangères et algériennes étaient présentes (600 exposants, ndlr). L’autre caractéristique à relever, les conditions sanitaires ont été respectées et il n’y a pas eu de problème. C’est tant mieux pour tout le monde.
Quelles sont, selon vous, les tendances lourdes en matière d’évolution du marché pétrolier ?
Il y a des mutations qui s’opèrent. Nous avons appris, confirmé lors de la présentation de Total, que le groupe français a complètement changé de nom pour devenir Total Energies, plusieurs énergies. Cela veut dire que Total et d’autres compagnies pétrolières internationales sont en train de s’aligner sur la politique mondiale en ce qui concerne la réduction des gaz à effet de serre. Le CO2 est donc devenu la principale préoccupation de manière à diminuer son impact. Comment ? De deux manières, d’abord, en accentuant le reboisement parce que les arbres se nourrissent de gaz carbonique et délivrent de l’oxygène. C’est une tendance que certains pays ont commencé à prendre, comme l’Algérie, qui veut revenir au barrage vert avec des millions et des millions d’arbres qu’il faut planter. C’est une tendance qui est beaucoup plus environnementale. L’autre tendance industrielle, c’est de faire de la réduction du carbone à travers la séquestration de CO2. Certains pays le font déjà. L’Algérie avait une expérience dans les années 1990. Cette tendance fait partie de la stratégie de nombreuses compagnies pétrolières. L’autre possibilité technique est de développer l’hydrogène. On sépare le gaz de l’hydrogène et le carbone va, par exemple, à la séquestration. L’hydrogène est une énergie propre. Elle est existante. Mais la vision est comment développer ce type d’énergie. En parallèle, il y a tout ce qui concerne l’hydrogène à partir de source renouvelable, à partir des énergies renouvelables qu’on appelle hydrogène vert. Tout le monde essaie de partir des ENR pour développer l’hydrogène. L’énergie, pour cette opération de séparation, est généralement solaire. Tout cela pour rester en conformité avec la politique mondiale visant à réduire les CO2. Nous avons remarqué aussi que dans les sociétés de services, du fait qu’on ne peut pas éliminer totalement et définitivement le CO2, certaines sociétés pétrolières transfèrent le risque aux sociétés de services. Ce que veulent réussir les sociétés pétrolières, c’est réduire le temps de l’exploration et le temps de développement, parce que, quand on réduit le temps, on consomme moins de CO2. Plus on met de temps, plus on développe du CO2. Tout cela a été débattu plus ou moins au cours du Napec.
Quelles sont les opportunités d’investissement qui se présentent dans le domaine minier algérien ?
L’investissement dans le domaine minier national est très encouragé par l’Etat et par Alnaft, l’agence nationale de valorisation des hydrocarbures. Cette dernière est une organisation de l’Etat chargée de cette activité. Alnaft a fait d’excellentes propositions dans ses présentations sur les capacités du domaine minier, les opportunités qui sont disponibles éventuellement pour un partenariat, pour une intervention d’une société nationale. Ce qui est certain, c’est que d’après Alnaft, les résultats attendus seraient très importants. L’Algérie recèle encore d’importantes quantités d’hydrocarbures qui peuvent être découvertes et exploitées par la suite.
Mais beaucoup de découvertes de gaz et de pétrole ne sont pas développées…
Les présentations faites par Alnaft ont montré les possibilités pour les gisements d’hydrocarbures marginaux de les prendre dans le cadre d’un partenariat pour un investissement avec un retour rapide, dans la mesure où les découvertes sont déjà là. Il y a aussi l’EOR, (ndlr, projets dans l’amélioration des taux de récupération des gisements pétroliers matures, c’est-à-dire anciens, c’est une possibilité d’investissement pour les compagnies étrangères en partenariat avec Sonatrach). La récupération des hydrocarbures à travers les EOR qui sont déjà sur la table (ndlr, pour des discussions ou des négociations en vue de conclusion de contrats portant sur ce genre d’opération) est une opportunité d’investissement.
Alnaft a affirmé qu’améliorer de 10% le taux de récupération du gisement de pétrole de Hassi Messaoud, c’est récupérer 4 milliards de barils de pétrole supplémentaires. Mais on parle de ce projet d’EOR depuis des décennies sans qu’on voie un début de concrétisation sur le terrain…
L’EOR est une technique, un investissement. Cet investissement demande beaucoup d’argent. Ce n’est pas comme un gisement découvert récemment. Pour l’EOR, il faut dépenser d’abord. Et les garanties de réussite ne sont pas là parce qu’il faut faire des tests, des pilotes. Il faut d’abord vérifier la faisabilité, quelle est la réaction du gisement vis-à-vis des produits qu’on injecterait. Cela reste une opportunité d’investissement. Les grandes sociétés de services comme Baker Hughes, Halliburton, Shlumberger ont les capacités techniques et les compétences pour intervenir avec succès dans ce genre de projet. Mais c’est le cadre contractuel qui, peut-être, n’arrange pas une partie ou une autre. Je n’ai pas d’informations sur d’éventuelles discussions avec ces sociétés de services. Il y a plusieurs contrats, des contrats de services sans risque. Baker Hugues peut demander ce genre de contrat. Et elle est payée quel que soit le risque, quels que soient les résultats, même si un puits est négatif. On peut travailler sur un contrat de service à risque. La société de service ne prend pas de risque sur le résultat. C’est la société pétrolière qui prend le risque. La société pétrolière partage le risque avec Sonatrah. Les activités pétrolières sont organisées dans le cadre d’une loi et ses textes d’application. Avec la nouvelle loi sur les hydrocarbures, il est facile pour Sonatrach d’obtenir une concession, même pour les étrangers. Pour un partenariat, il faudrait que cela passe par un appel d’offres ou à travers un gré-à-gré, à condition de démontrer que c’est dans l’intérêt du pays. Pour l’instant, comme la nouvelle loi est disponible, comme les textes d’application fondamentaux sont disponibles, Sonatrach peut déjà travailler dans le cadre de la nouvelle loi sur les hydrocarbures et la publication (par Alnaft) de l’appel d’offres en matière d’exploration et de développement de gisements.
Pensez-vous que les compagnies étrangères s’intéressent au domaine minier national au point d’envisager d’investir ou de renforcer leurs investissements en Algérie ?
Les grandes compagnies pétrolières comme Oxy, Total, Equinor, étaient là. D’autres comme Cepsa, PPTE étaient présentes. Je pense que ces sociétés connaissent l’Algérie et c’est un atout pour elles. Elles savent très bien qu’il y a des opportunités qui pourraient les intéresser.
Elles sont donc en attente de voir comment va se construire cette relation de partenariat, soit par un appel d’offres, soit par un gré-à-gré. Les autres compagnies étrangères, avec la Covid, n’envisagent pas pour l’instant cette possibilité. Il y a deux facteurs défavorables à l’investissement dans le domaine pétrolier. La Covid-19 a d’abord sclérosé tout le monde dans le domaine de l’exploration. Second facteur, les budgets dans l’exploration prévus par les compagnies pétrolières internationales sont très réduits à travers le monde. Quand on a des budgets élevés d’investissement dans l’exploration, il y a automatiquement une compétition entre les pays pour attirer les investisseurs étrangers dans le secteur. Est-ce que l’Algérie est compétitive par rapport aux autres pays ? Il va falloir faire le test. C’est le premier appel d’offres dans le cadre de la nouvelle loi qui va nous dire si l’Algérie est compétitive ou non.
Est-ce que Sonatrach peut discuter avec les compagnies étrangères et conclure des contrats sans faire d’appel d’offres ?
La loi lui permet de faire des farm out, c’est-à-dire que Sonatrach a un bloc, elle peut céder une partie des intérêts. En clair, par exemple, céder 49% de ses intérêts à une société, soit dans le cadre d’un appel d’offres, soit de gré-à-gré sans Alnaft. Alnaft vient par la suite. Le bloc est chez Sonatrach. La loi autorise donc Sonatrach à faire des farm out. Elle prépare un contrat et le soumet ensuite à Alnaft. Si le titre d’attribution n’est pas délivré par Alnaft, l’affaire ficelée entre Sonatrach et son partenaire, ou ses partenaires, ne va pas aboutir à la conclusion d’un contrat. Parce que c’est avec le titre d’attribution et le contrat que le Conseil des ministres va statuer. La dernière étape, c’est lui.
Comment voyez-vous l’avenir du secteur pétrolier en Algérie à moyen-long terme ?
Il n’aura plus le rôle qu’il avait par le passé, où il devait, en premier lieu, assurer la sécurité énergétique du pays. Ce rôle-là, il va le maintenir et le renforcer. Le deuxième rôle qu’il avait était de financer l’économie du pays. Ce rôle, il ne pourra plus l’assurer comme par le passé, sachant très bien que les besoins de financement de l’économie nationale ne vont qu’en se développant. Nous avons une population qui augmente et les besoins de tous les secteurs vont augmenter. Le secteur énergétique doit obligatoirement être accompagné par le développement d’autres secteurs : l’agriculture, la sécurité alimentaire assurée et le tourisme, qui est source de revenus en devises. En 2040-2050, il n’y aura plus de revenus tirés par les hydrocarbures. Il faut donc, dès aujourd’hui, développer davantage ces secteurs pour être au rendez-vous en 2040-2050. Le problème ne se pose pas aujourd’hui, il se pose pour 2040-2050. Il convient, d’autre part, d’améliorer la gestion de Sonatrach afin qu’elle soit une compagnie énergéticienne comme les grandes compagnies étrangères, telles que Total, BP, recruter les meilleurs profils dont a besoin la compagnie.
Si on trouve ces personnes en Algérie, c’est bien, si c’est à l’étranger, il faut les ramener. A la personne qui correspond au profil, on lui définit ses missions. Il faut également avoir accès au réseau financier pour pouvoir financer ses investissements. Les grandes sociétés pétrolières travaillent avec l’argent des autres. Il faut avoir de bonnes relations avec les banques. Troisièmement, le processus décisionnel doit être le plus court possible.
*ancien conseiller au ministère de l’Energie, ancien vice-président amont à Sonatrach
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=318