INTRODUCTION
Le 31ème Sommet Arabe qui va se tenir en Algérie du 1 er au 2 Novembre 2022 va se dérouler dans des conditions exceptionnelles au regard de ce qui se passe à travers le monde à tous les points de vue qu’ils soient géopolitiques ou économiques. L’un d’eux est relatif à l’énergie qui est un enjeu majeur dans les relations internationales de ce 21ème siècle, et se retrouve au cœur de toutes les stratégies de développement. Le deuxième est aussi important, concerne la lutte contre le réchauffement climatique, et par conséquent la position à adopter au cours de la prochaine conférence des Nations Unies pour le climat « COP27 » à Charme cheikh en Egypte à partir du 7 jusqu’au 18 novembre 2022
Les pays du Monde Arabe auront certainement à l’avenir plus de défis communs que par le passé dans un monde qui est en train de muter rapidement vers une nouvelle configuration dans tous les domaines, aussi faut il espérer que ce sommet du premier Novembre soit inscrit comme date de départ d’une nouvelle alliance face aux défis du futur.
Le monde entier est en train de bouger, de s’exciter, et de muter rapidement vers de nouvelles alliances, de nouveaux processus d’échanges et de consommation énergétique, à travers des stratégies dont le fondement repose sur trois volets importants :
- La répartition géographique des ressources et souvent de leur possession ou leur contrôle. Le monde arabe renferme 43% des réserves pétrolières mondiales dont il produit 31% de la production mondiale. Il renferme 27% des réserves gazières mondiales dont il produit 16% de la production mondiale. (Chiffres 2020).
- L’importance des besoins des économies des pays qu’ils soient producteurs ou consommateurs parce qu’aujourd’hui comme dans le futur, et de la même façon que pour l’eau, l’humanité entière a et aura toujours besoin d’énergie. La consommation en énergie primaire du monde arabe a atteint en 2020 seulement 6% de la consommation mondiale.
- Des risques climatiques qui pèsent sur l’humanité, et dont la prise de conscience sur leurs impacts est en train de donner lieu à :
La crise énergétique actuelle a mis en évidence l’importance de l’accès à l’énergie, et par conséquent de la sécurité énergétique au niveau de tous les pays du monde qu’ils soient producteurs ou importateurs. On peut citer parmi ses impacts, celui du retour au charbon contrairement aux engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique, le retour au nucléaire, l’accroissement des investissements dans les énergies renouvelables, le dérèglement des échanges en matière d’hydrocarbures, les pressions sur les pays producteurs / exportateurs d’hydrocarbures pour en produire plus.
Le monde arabe, situé à cheval entre le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, est constitué de 22 pays, 13,5 millions de KM2 correspondant à environ 10% du globe terrestre, et un peu plus que 450 millions d’habitants. Meme si son avantage majeur est lié à l’énergie, y compris en matière de transition vers de nouvelles ressources énergétiques, dont il dispose encore plus que n’importe quelle autre région du monde, il est lui aussi au cœur de toutes les mutations auxquelles il doit s’adapter au mieux de ses intérêts, et de ceux de l’humanité toute entière.
REPARTITION GEOGRAPHIQUE DES RESSOURCES ET DES CONSOMMATIONS
Le 20ème siècle a été celui d’une course continue vers la consommation effrénée des ressources non renouvelables disponibles, leur possession ou leur contrôle, pour assurer le développement économique. Cela s’est traduit certes par des progrès sociaux indéniables, mais aussi par :
- Des conséquences négatives sur les écosystèmes et l’environnement d’une façon générale qui semblent découler selon de nombreux experts de la nature et de l’excès des usages des ressources énergétiques conventionnelles.
- Par des conflits régionaux qui ont enrichi certains peuples et appauvri d’autres.
Le 21ème siècle sera marqué par des bouleversements économiques et géopolitiques qui affectent presque tous les pays, poussent ces derniers à mettre en œuvre de nouvelles stratégies de développement qui comportent invariablement un volet énergétique, lui-même basé systématiquement sur un programme de transition énergétique, dont l’objectif majeur est d’assurer la sécurité ou plutôt l’indépendance énergétique à long terme à travers le recours à de nouvelles ressources.
Tout le monde est convaincu aujourd’hui qu’il faut accélérer cette transition vers l’objectif « ZERO CARBONE 2050 », mais tout le monde est aussi convaincu :
- D’une part, qu’il s’agit d’une transition à travers plusieurs décennies, au cours de laquelle le monde ne pourra pas se passer des hydrocarbures du jour au lendemain.
- D’autre part, qu’il faut soit posséder ou contrôler les ressources nécessaires, soit avoir les moyens de les acquérir, ou encore de les remplacer par de nouvelles ressources plus accessibles.
La consommation énergétique mondiale est actuellement à 31% en pétrole, 27% en charbon, 25% en gaz naturel, 7% en hydroélectricité, 6% en renouvelables, et 4% en nucléaire. Il s’agit-là d’un mix énergétique constitué à 56% d’hydrocarbures, qui, selon la plupart des analyses, vont certes se réduire durant les 3 prochaines décennies, mais demeureront présents à hauteur de 35% à l’horizon 2050, surtout pour le gaz naturel (20%). (Réf : bp-stat-review-2021)
En 2021 le monde a consommé environ 90 à 100 MM barils d’hydrocarbures liquides par jour, et 4.000 Md M3 de gaz durant toute l’année 2021, dont 516 Md M3 (25%) sous forme de GNL dont la part augmente d’année en année et sera prépondérante dans environ une décennie.
Les réserves mondiales, conventionnelles et prouvées, sont estimées à 1.732 Md de barils de pétrole et 188.000 Md de M3 de gaz naturel (WEO-BP-2021).
A priori il n’y a pas de crainte pour au moins pour 4 à 5 décennies si le monde devait continuer à baser son modèle de consommation énergétique sur les énergies fossiles. Il faut cependant tenir compte :
– Non seulement du caractère épuisable des 56% des ressources en hydrocarbures.
– Mais aussi de leur accessibilité, ou plus particulièrement leur répartition géographique par rapport aux besoins, avec une concentration des ressources au niveau du Monde Arabe, de la Russie, et de l’Amérique du Nord, et celle des besoins au niveau de l’Asie et de l’Europe.
– Ainsi que les impacts de la transition énergétique vers de nouvelles ressources, de nouveaux modèles de consommation énergétique, non seulement dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi l’objectif d’indépendance énergétique. L’accroissement de la part de production d’énergie à partir des ENR en 2021 par rapport à 2020 est particulièrement important et a atteint globalement 16,5%, avec 28% en Asie, 18% au Moyen Orient, 13% en Amérique du Nord, 8% en Afrique, et seulement 3% en Europe.
Globalement, 48% des réserves prouvées en pétrole, et 40% en gaz, sont situés au Moyen Orient, qui correspond majoritairement à la partie orientale du Monde Arabe. Si on met de coté l’Iran qui n’en fait pas partie, et on ajoute la partie Ouest correspondant à l’Afrique du Nord, on constate alors que le Monde Arabe renferme (Réf : bp-stat-review-2021):
- 750 Md de barils de pétrole, dont 678 au Moyen Orient et 72 en Afrique du Nord, soit en tout 43% des réserves mondiales.
- 50.000 Md M3 de gaz naturel, dont 43.100 au Moyen Orient et 6.900 en Afrique du Nord, soit en tout 27% de réserves mondiales. Ces réserves ne comprennent pas celles correspondant au gaz de schiste dont l’exploitation pourrait être aussi envisagée à l’avenir, puisque le MENA renferme pas moins de 70.000 MD M3 de gaz.
Un autre détail important mérite aussi d’être mentionné concernant la position stratégique du Monde Arabe vis-à-vis de l’Est, c’est-à-dire l’Asie qui correspond à la région du globe la plus consommatrice de ressources en hydrocarbures et en charbon.
Vers le Nord-Est, avec ses 9 millions KM2, le bassin méditerranéen qui regroupe 25 pays, 7% de la population mondiale, et 10 % à l’économie mondiale, correspond à un véritable carrefour entre l’Europe, l’Afrique, et le Moyen-Orient, et de même un corridor de transit de ressources énergétiques, de même qu’il est le siège d’environ 22 % des importations de pétrole et 35 % pour le gaz naturel.
Maintenant sur un autre plan et au-delà du déséquilibre dans la répartition géographique des réserves par rapport aux consommations, qui constitue un avantage pour le Monde Arabe, en plus de sa position stratégique, il y a un nouveau contexte depuis Février 2022 qui va certainement redistribuer tous les échanges en matière de ressources énergétiques à travers le monde. Il s’agit bien sur du conflit russo-ukrainien et ses impacts non seulement sur l’approvisionnement des pays européens, mais aussi du recours à de nouvelles ressources issues d’autres régions productrices dans le monde, et par conséquent un dérèglement des marchés pétroliers et gaziers surtout.
Il faut rappeler juste qu’à la veille de ce conflit, l’Europe des 27 importait de Russie 37% de sa consommation en gaz, 25% en pétrole, et 20% en charbon. Le reste provient d’autres régions du monde à raison (Réf : bp-stat-review-2021):
– De 63% pour le gaz dont seuls 13% sont produits localement.
– De 75% pour le pétrole importé aussi.
– Et 80% pour le charbon dont 40% produits localement.
Auparavant, les échanges dans le monde étaient déjà organisés à travers des capacités de production et des contrats de production et exportation planifiés dans le temps entre principalement :
– 5 principales régions productrices et exportatrices : Moyen Orient, Australie, Russie, Afrique et USA.
– 3 principaux marchés : l’Asie très consommatrice, l’Europe, et l’Amérique du Nord qui consomme beaucoup mais s’auto-suffit.
– Il faut préciser aussi que le Moyen Orient est un marché gazier important au regard de sa consommation, ainsi que l’Afrique, sauf que ces deux régions s’auto-suffisent.
Tous ces éléments et paramètres indiquent que le Monde Arabe peut et doit jouer un rôle vital dans les années à venir dans le processus de mutation des échanges énergétiques. Il possède les ressources nécessaires, mais il doit tenir compte (Réf : bp-stat-review-2021):
– De ses propres besoins futurs. A titre d’exemple, l’Afrique ne consomme aujourd’hui que 15 GJ/Hab, alors que le Moyen Orient en consomme 143 GJ/Hab, tandis que les pays de l’OCDE consomment 168 GJ/Hab, et les Non OCDE : 56 GJ/Hab
– De la nécessité de sortir de l’économie rentière pour certains pays.
– De la nécessité de tenir compte de l’accélération de la transition énergétique dont les ressources nouvelles (ENR) ne lui manquent pas non plus et dont il va falloir développer les capacités à moyen et long terme.
– Et de la nécessité de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique mais en fonction de ses responsabilités et ses intérêts.
QUELLE RESPONSABILITE FACE AU RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE ?
Historiquement, 80% des émissions responsables du réchauffement climatique proviennent du G20.
En 2021, les pays arabes ont émis un peu plus que 1,8 Giga Tonnes de CO2 à partir du secteur de l’Energie, soit environ 5,2% sur les 34 GT émises à travers le monde (Réf : bp-stat-review-2021).
La Chine émet à elle seule 10,5 GT (31%), les USA 4,7 GT (13,9%), l’UE 2,7 (8,1%), l’Inde 2,6 GT (7,5%), et la Russie 1,6 GT (4,7%).
Deux questions importantes doivent être posées :
- D’où viennent ces quantités astronomiques ? Essentiellement des hydrocarbures ou de l’industrie des énergies de façon générale.
- D’où viennent ces hydrocarbures et surtout ceux consommés tout au long du siècle dernier ? En grande partie des pays arabes et plus particulièrement du Moyen Orient et d’Afrique, et cela se poursuit de nos jours puisque les principales réserves et les capacités de production ainsi que les exportations sont situées au niveau de ces régions.
On peut donc considérer que la responsabilité historique en matière de dégradation du climat n’est pas la même, parceque les ressources naturelles du monde arabe ainsi que celles d’Afrique ont permis au reste du monde de se développer avec les conséquences qui sont survenues dans le temps.
Cela ne veut pas dire bien sûr que le Monde Arabe ou l’Afrique n’ont pas de responsabilité aujourd’hui et dans le futur, car ils doivent eux aussi contribuer maintenant à la lutte contre le changement climatique. C’est ce que la majorité de leurs membres ont d’ailleurs exprimé depuis la COP21 au sein de l’accord de Paris en 2015 avec des contributions nationales déterminées, mais sous réserve d’un financement de la part des pays les plus riches, les plus développés, mais aussi les plus responsables historiquement, à fournir aux pays en développement, pour les aider à faire face aux conséquences de la hausse des températures mondiales.
Les plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre des pays membres de la COP26 de Glasgow prévoient de limiter le réchauffement à moins de 2,3°C, alors que l’accord de Paris COP21 en 2015 prévoyait 2°C au moins, l’idéal pour l’humanité entière étant de 1,5°C. Mais récemment et à quelques semaines de la tenue de la COP27, le Secrétaire Général de l’ONU a déclaré que «le monde est sur un chemin catastrophique vers +2,7 °C de réchauffement » à la fin du siècle.
D’où la nécessité d’un accord urgent sur les actions à entreprendre, mais aussi sur les pertes et dommages comprenant un volet financement au profit des pays les plus vulnérables. Et on peut citer dans ce cadre l’énorme déséquilibre entre la responsabilité historique pour le changement climatique de l’Afrique par exemple, par rapport aux ressources financières qu’elle reçoit, selon une récente déclaration du Président de la Commission de l’Union Africaine.
La prochaine conférence des nations unies COP27 à Charm El-Cheikh devrait ainsi être l’occasion pour le monde arabe de parler d’une même voie parceque le réchauffement climatique les affectera probablement plus que le reste du monde.
Il ne reste qu’à souhaiter que le prochain Sommet Arabe soit un succès comme celui atteint récemment pour la Palestine. Le monde Arabe en a les moyens et les ressources, et il doit agir pour que ces ressources puissent être un levier pour son développement, et non un handicap ou encore un motif de discorde. Cela ne signifie pas qu’il ne faut regarder que vers l’intérieur et l’intérêt du Monde Arabe, ça ne mènera pas loin, parcequ’il est possible qu’à l’avenir, grâce au progrès technologique dans le domaine de l’Energie, les hydrocarbures ne puissent pas servir à grand-chose, car dans le monde plusieurs experts parlent maintenant d’un pic de la demande pétrolière qui pourrait survenir bien avant celui des réserves ou de la production.
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=2131