Le gouvernement turc vient d’annoncer avoir découvert une immense réserve de terres rares dans le district de « Beylikova », dans la province d’Eskişehir. Des ressources précieuses qui intéressent déjà les industries technologiques, mais les récupérer ne devrait pas être évident.
C’est le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles turc « Fatih Dönmez » qui a fait l’annonce officielle début juillet : la découverte de la deuxième plus grande réserve de terres rares au monde dans le district de Beylikova, qui se trouve en Anatolie centrale, en Turquie. Selon les calculs réalisés par le gouvernement du pays, cette réserve représenterait « 694 millions de tonnes d’éléments de terres rares » supplémentaires à l’échelle mondiale. Une Seule réserve se positionne au-dessus : celle de Bayanoba, en Chine, qui en abrite environ 800 millions.
Les réserves de terres rares nouvellement découvertes auront des répercussions politiques, économiques et sécuritaires pour la Turquie et sa coopération avec les pays occidentaux.
Sur le plan politique, ces réserves augmentent l’importance stratégique de la Turquie et renforcent sa position vis-à-vis de l’UE et des États-Unis. Par ailleurs, la coopération avec la Turquie peut aider les pays de l’UE à diversifier leurs importations et à réduire leur dépendance vis-à-vis de la Russie et de la Chine. Enfin, la collaboration entre la Turquie et les pays occidentaux peut promouvoir l’interdépendance, minimiser la perception des menaces et créer des conditions plus fructueuses pour la coopération dans l’industrie des terres rares.
Les terres rares, qu’est-ce que c’est ?
Lorsque l’on parle de terres rares, on parle en réalité de 17 métaux différents : le scandium, l’yttrium, et les quinze lanthanides. Comme leur appellation générale le laisse penser, il s’agit de matériaux qui sont rares et très difficiles à trouver dans la nature. La réserve de « Beylikova » en contiendrait 10 différents.
Pourtant, ils sont particulièrement stratégiques dans l’industrie des nouvelles technologies, puisqu’ils entrent dans la fabrication d’un très grand nombre d’appareils comme les dallesdetéléviseurs et de moniteurs, les puces de smartphones et les LED, pour n’en citer que quelques-uns. Les secteurs de l’aérospatial, du biomédical, de l’aéronautique ou encore de la défense en ont également grand besoin.
La découverte réalisée en Turquie devrait donc avoir une importance de taille pour de nombreuses industries, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas quelques problématiques à résoudre pour pouvoir mettre concrètement la main sur ces précieuses ressources.
Opportunités économiques pour la Turquie
En plus des opportunités politiques, il existe également des opportunités économiques pour la Turquie et sa coopération avec les pays occidentaux. Premièrement, le développement de l’industrie des terres rares peut promouvoir la politique de diversification économique de la Turquie et conduire à une spécialisation dans l’extraction et le transport de terres rares. Deuxièmement, l’amélioration du secteur des terres rares peut créer un effet d’entraînement qui favorise l’attraction de nouveaux investissements et la création d’emplois dans le pays, à travers l’usage et la mise en valeur de ces terres rares.
Les opportunités économiques pour les pays de l’UE peuvent également favoriser la coopération avec la Turquie. Les réserves de terres rares d’Ankara sont proches de la surface, ce qui signifie que leur extraction sera facile et moins coûteuse. Grâce à ce nouvel investissement, les pays de l’UE peuvent aider la Turquie à créer une capacité technologique d’extraction à court terme et à améliorer la technologie de traitement à moyen terme. Ils peuvent ainsi réduire leur vulnérabilité économique face à la Chine, profiter de la proximité géographique de la Turquie, diversifier leurs importations et protéger leur stabilité technologique et financière à moyen et long terme.
En outre, avec la coopération de l’UE et des États-Unis, la Turquie peut obtenir des technologies permettant de réduire les dommages environnementaux liés à l’extraction des terres rares. De cette façon, les éléments de terres rares peuvent être gérés de manière appropriée, recyclés et introduits dans de nouveaux cycles de production sans nécessiter de nouvelles extractions du sol. D’une manière générale, la coopération entre l’UE et la Turquie dans le domaine des terres rares peut renforcer l’interdépendance économique, créer une relation mutuellement bénéfique et contribuer à réduire les effets de tout bouleversement économique et politique extérieur à moyen et long terme.
Implications pour le secteur de la défense
Enfin, les terres rares récemment découvertes peuvent jouer un rôle vital dans le secteur de la défense, tant pour la Turquie que pour les pays occidentaux, car les métaux rares jouent un rôle crucial, de la production de drones à celle des F-35.
Le développement de réserves aide Ankara à réduire sa dépendance vis-à-vis d’autres pays et peut conduire à l’autosuffisance en matière de matériaux de terres rares. En outre, en coopérant avec la Turquie, l’UE et les États-Unis peuvent sécuriser la chaîne d’approvisionnement et garantir une relative stabilité dans leur secteur de la défense.
À moyen et long terme, la spécialisation de la Turquie dans l’industrie des terres rares en termes de développement des capacités technologiques et surtout de traitement des matériaux pourrait renforcer la position d’Ankara dans la chaîne d’approvisionnement mondial et créer une chance de coopération durable à long terme avec les États-Unis et l’UE.
Mais cette extraction s’annonce longue et … Polluante
Pour extraire les terres rares du sol, il faut user de prudence : en effet, cela entraîne systématiquement des rejets d’éléments toxiques dans l’environnement, qui peuvent inclure des métaux lourds, de l’acide sulfurique et même, parfois, de l’uranium et du thorium. Les précautions à prendre sont énormes et les conséquences pour l’environnement immédiat peuvent être désastreuses si les procédures ne sont pas respectées.
Dans un premier temps, la Turquie compte extraire uniquement 1200 tonnes de minerai par an, le temps de mettre en œuvre une stratégie efficiente et pour le pays et pour les futurs clients de ce dernier. Ensuite, les choses devraient fortement s’accélérer : « Nous mettons en place une installation de production qui traitera le minerai. Après les résultats de la production d’essai, nous commencerons à investir dans des installations industrielles. Notre objectif est de traiter 570 000 tonnes de minerai par an lorsque cette installation atteindra sa pleine capacité, 10 000 tonnes d’oxydes de terres rares, 72 000 tonnes de barytine, 70 000 tonnes de fluorite et 250 tonnes de thorium », a déclaré « Fatih Dönmez ». « Je veux surtout valoriser le thorium, un élément qui nous offrira de grandes opportunités comme combustible dans les nouvelles technologies nucléaires », a-t-il ajouté.
Vers une exportation à l’étranger
La mise en place du site d’extraction a commencé et sera terminée d’ici un an, mais il faudra bien plus longtemps pour que le site industriel soit complet. Le calendrier n’a pas été donné en détail par le gouvernement turc : celui-ci s’est contenté d’indiquer que les terres rares récupérées profiteront tout d’abord à la Turquie, mais que le pays aura « la possibilité d’exporter ». Cela pourrait notamment permettre aux pays européens d’en profiter et de réduire, de cette manière, leur dépendance vis-à-vis de la Chine, principal fournisseur d’ETR (Eléments de Terres Rares).
Il faut savoir que la Chine est le premier producteur mondial d’ETR (Eléments de Terres Rares), représentant près de 60 % de la production mondiale annuelle, estimée à 140.000tonnes en2020. Quatre autres pays se partagent la presque totalité des 40% restants : les États-Unis, la Birmanie (Myanmar), l’Australie et Madagascar.
Les plus grands gisements de terres rares se trouvent en Chine, et le restant des réserves minérales de terres rares du monde se trouvent en Russie. Ces deux pays représentent 57% des réserves mondiales connues de terres rares. La Chine joue notamment un rôle clé dans l’industrie des terres rares. La Chine représentait 60% de la production mondiale et 85% des terres rares raffinées dans le monde en 2020. Compte tenu de la détérioration des relations des pays occidentaux avec la Chine et la Russie, ces deux pays pourraient à l’avenir utiliser ces matériaux comme moyen de pression contre les pays occidentaux. L’interdiction par la Chine des exportations de terres rares vers le Japon en 2010 et son annonce de restrictions sur les exportations de terres rares en décembre2020 peuvent en être un exemple.
Ces dernières années, les pays occidentaux ont tenté de diversifier leurs importations et de développer leurs réserves de matériaux de terres rares afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine et de la Russie. Le mois dernier, le Royaume-Uni, les États-Unis et d’autres alliés occidentaux ont annoncé la création du « Partenariat pour la sécurité des minéraux » en anglais à « Minerals Security Partnership ou MSP », une initiative visant à rendre la chaîne d’approvisionnement plus « sûre ».
Grâce à cette découverte, et pas des moindres, la Turquie pourrait bientôt détenir un statut « différent » vis-à-vis de l’Europe.
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=1989