Berkane Bouzertini et Hamid Krimat, font partie de ces hommes qui ont vécu le 24 Février 1971, et surtout l’après 1er Mai 1971, le moment où il fallait prendre la relève sur le terrain de tout le personnel des compagnies pétrolières nationalisées. Le premier est Ingénieur en Forage-Production, de la 3ème promotion de l’Institut Algérien du Pétrole 1969, recruté immédiatement par Sonatrach et affecté à la Direction des Services pétroliers à Hassi Messaoud (DSP). Le deuxième, Technicien Supérieur de la promotion IAP de Hassi Messaoud 1969-1970, rejoint lui aussi la DSP et occupera dès cette époque une lourde responsabilité en tant que coordinateur des appelés du Service National. Tous deux ont bien voulu nous raconter cette période cruciale qui a suivi la nationalisation des hydrocarbures.
50 ans après, nous nous rappelons encore cette journée et celles qui suivirent. Elles se sont comptées plus tard en mois et années que nous n’avions pas pu comptabiliser, ni relater, ni analyser à cette époque.
De nos jours l’histoire avec un grand “H” n’évoque que la nature ou la grandeur du défi de la nationalisation, mais sans aborder ou préciser les innombrables péripéties vécues sur le terrain. Nous même, pétroliers du terrain, nous n’avons saisi et mesuré toute l’importance des défis affrontés et des succès obtenus que plus tard : “assurer immédiatement la relève du personnel des deux plus grandes compagnies pétrolières que sont SN Repal et CFPA ! A aucun moment nous avons jugé que cela était impensable ! Nous l’avons simplement assuré.
Il faut rappeler que Sonatrach avait déjà créé la Direction des Services Pétroliers (DSP) pour éviter d’être à la merci des compagnies de services étrangères, et réduire les coûts, surtout le forage dont la part dans le prix de revient du baril de pétrole est très importante. Sonatrach avait aussi acquis (ou sous-traité) 16 appareils de forage et work over, alors que la première promotion de Techniciens supérieurs de l’IAP de Hassi Messaoud n’avait pas terminé sa formation.
Le manque de personnel qualifié était par conséquent le plus grand handicap de la DSP, alors qu’il fallait du jour au lendemain remplacer le personnel de la CFPA et la SN Repal qui n’avaient certes que 4 appareils de forage et un appareil de workover, mais disposaient de plus de personnel de forage que la DSP avec ses 16 appareils !
Notre propre Direction, et probablement tous ceux qui étaient sur le terrain, ont dû se dire ou penser à un moment que cette relève n’était pas possible. Mais les ordres étaient là, précis, provenaient de la Direction Générale de Sonatrach, et il fallait les exécuter y compris avec le “système D”. La motivation et la volonté de réussir avaient comme base la présence permanente avec nous sur le terrain de nos responsables qui ne laissaient apparaitre aucune crainte.
C’est ainsi que ce matin du 1er Mai a démarré, empreint d’une effervescence inhabituelle au niveau de notre base de la DSP. Au moins 25% du personnel n’était pas au courant de ce qui se passait ou allait se passer. Les ordres étaient donnés sans que personne ne sache quel était le plan ni la suite des opérations (ceci à mon niveau bien sûr)
Comment avons nous fait pour que ça marche ? Nous étions aux premières loges et nous arrivions à peine à y croire encore. La tension dans laquelle nous étions au jour le jour ne nous permettait même pas d’envisager autre chose que le succès. Et c’est ainsi que “les torches ont continué à bruler” sans arrêt, signe que le gisement de Hassi Messaoud continuait à produire comme d’habitude.
Les travailleurs qui devaient partir en récupération après six semaines (parfois plus) ont été retenus, et il faut insister sur le fait qu’il faut avoir beaucoup de courage pour demander à un père de famille qui n’a pas vu ses enfants pendant six semaines ou plus, de rester sans même pouvoir lui dire combien de temps il allait être retenu. Il fallait en plus demander à certains de prendre généralement un poste supérieur pour lequel ils n’étaient pas encore préparés.
Nous étions accompagnés par la gendarmerie nationale pour effectuer la relève des “Etrangers” en poste, en leur expliquant simplement que leur direction était mise au courant. Il faut dire que les passations se sont quand même déroulées sans problèmes.
Les techniciens et ingénieurs étrangers, aguerris par un minimum de 10 à 15 ans d’expérience constataient avec étonnement leur remplacement par des jeunes de 22 à 24 ans, qui, quelques mois avant, étaient leurs stagiaires. Il faut reconnaitre que l’idée que c’était impossible nous inquiétait, et qu’au fur et à mesure du temps qui passait, nous nous attendions à faire face à des difficultés !
Notre préoccupation majeure était aussi la maintenance des équipements et la disponibilité des pièces détachées, pour éviter de laisser à l’arrêt un de nos appareils DSP, ou celui de SN Repal ou CFPA, ce qui aurait été synonyme d’échec ! Donc à éviter à tout prix.
Heureusement que beaucoup de postes, à cette époque, étaient assurés au niveau des appareils de forage SN Repal et CFPA, conjointement par des Algériens qui secondaient généralement le “Boss” français.
Ces éternels adjoints ont fait un travail formidable en prouvant à tous et surtout à eux-mêmes qu’ils étaient capables d’assumer ces responsabilités. Nous citerons parmi eux : feu Barre Said et Miloudi pour le forage.
L’un des éléments essentiels du fonctionnement des activités centralisées à Hassi Messaoud, c’est aussi la centrale à boue, que l’ingénieur Chimiste BOURBOUNE Messaoud avait pris en charge et avait maintenu en activité pour les besoins des appareils de forage du champ de Hassi Messaoud et des appareils de workover.
On se rappelle aussi que le superintendant de Westburn drilling Co, Georges Rodrigue, nous avait donné un coup de main très appréciable, et cela fait partie aussi des vérités qu’il faut assumer. La direction de la SN Repal et celle de CFPA, avaient préparé très correctement aussi bien les équipements de rechange que les consommables, ce qui nous a donné un grand répit. Ça aussi il faut le dire. Nous n’avons pas tout inventé.
Il faut noter aussi que beaucoup d’entre nous, étions en services militaire civil (relevant de la 4ème région militaire et mis à la disposition de la Sonatrach) en tant qu’officiers de réserve avec une solde de 360,00DA / mois. Ce détail ne nous a jamais empêché de faire le maximum.
Avec du recul il faut dire que même si nous n’étions pas préparés au défi auquel nous avons fait face, nous avons réussi à le surpasser. Mais ce qui est peut-être regrettable après coup, c’est que nous n’avons pas su, ni pu analyser comment cela s’est déroulé et abouti à la réussite de cette relève avec si peu de moyens humains, alors qu’il s’agit d’une formidable aventure qui devrait être capitalisée.
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