24 Février 1971, ou le devoir de transmission

Rédaction (A.M)
Hydrocarbures
Rédaction (A.M)24 février 2025
24 Février 1971, ou le devoir de transmission

Le 24 février 1971, est une date qui restera à jamais gravée dans l’histoire de l’Algérie indépendante, une date marquée par le discours mémorable prononcé par le Président Houari Boumediene, annonçant la décision de prendre le contrôle des richesses pétrolières et gazières, et consacrant ainsi la souveraineté sur nos ressources naturelles.

Une décision envisagée avant 1962 et préparée au cours des années 60

Cette décision n’est pas tombée du ciel et n’a pas été prise de façon précipitée. Elle était déjà dans l’esprit des dirigeants de la lutte pour l’indépendance quand ils ont réfusé le partage de l’Algérie en deux régions, l’une au Sud avec le potentiel en hydrocarbures découvert en 1956, et l’autre sur sa partie Nord.

L’objectif a commencé à se concrétiser dès 1963 avec la création de Sonatrach, puis son introduction progressive sur le domaine minier durant les années 60, avec notamment ses premiers travaux d’exploration seule en 1966 sur le permis de Gassi El Adem, puis El Borma en 1967, ou dans le cadre des « Accords ASCOOP » avec les compagnies françaises (SNREPAL et CREPS). Il faut aussi rappeler qu’après la guerre des Six Jours au Moyen Orient, l’Algérie avait nationalisé les activités américaines de raffinage-distribution de Mobil et Esso, et signé un accord en 1968 avec Getty Oil ( société Américaine) dont elle a pris le contrôle de 51 % de ses intérêts en Algérie.

Le pétrole algérien représentait à cette époque 20% de la production de la CFP, et 79% de la production d’ELF (toutes deux aujourd’hui fusionnées dans TotalEnergie). Durant toutes ces années, le tiers du pétrole utilisé par l’économie française provenait des gisements sahariens, avec 25,4 millions de tonnes par an, ce qui faisait de l’Algérie le premier fournisseur de la France, avant l’Irak et la Libye.

Les accords qui existaient entre la France et l’Algérie ont été renouvelés une première fois le 29 juillet 1965, et stipulaient que les sociétés Total et Elf devaient reverser à l’État algérien une partie de leurs bénéfices sous forme d’investissements ou d’impôts directs. Ils ont au contraire baissé, et de nouveau entrainé de nouvelles négociations dès 1966 pour augmenter le prix du baril, la fiscalité et surtout faire en sorte qu’une partie des bénéfices des sociétés françaises soit investie en Algérie.

Mais ces derniers refusaient systématiquement.

Ça s’est terminé par les nationalisations le 24 Février 1971, qui ont consisté à :

  • Faire de l’Etat Algérien propriétaire exclusif des richesses du sous-sol, suppression du système des concessions au profit d’une nouvelle organisation du domaine minier, et nouvelles conditions de partenariat en matière de recherche et d’exploitation avec les compagnies étrangères.
  • Prise de contrôle à 51 % des deux sociétés pétrolières françaises présentes, ELF (anciennement ERAP) et Total (ancienne CFP).
  • Prise du contrôle à 100% des gisements de gaz ainsi que les réseaux de transport (oléoducs et gazoducs).

Le travail des hommes de l’ombre

Mais il faut se poser aussi la question comment cela a pu se réaliser ? Qui a préparé ce genre de décision lourde de conséquences et qui n’est pas aussi simple à mâturer ?

Il faut donc rendre hommage à tous ces hommes qui ont travaillé dans l’ombre, sous l’autorité du Président Boumediene, et sont à l’origine de ce défi. Des hommes chargés de recueillir aussi bien des informations à travers différents canaux, que pour préparer l’après nationalisation. Il s’agit entre autres :

  • De Messaoud Zeghar et Cherif Guellal qui agissaient au niveau des décideurs américains pour préserver leur neutralité surtout après 1967, suite à la guerre Israelo-Arabe et la nationalisation des intérets américains (Esso et Mobil) en Algérie.
  • De Rachid Tabti surnommé le Prince de Marmara, qui a réussi à introduire les cercles de décision français, et a fourni de précieuses informations à partir de Paris, qui lui ont valu une condamnation de 10 ans de prison pour espionnage économique.
  • Et enfin du tandem Abdeslam Belaid et Sid Ahmed Ghozali sous la supervision directe du président Boumediène, qui ont préparé la décision et le « terrain » de mise en œuvre en Algérie. Le tout dans le secret total. Allah yarhamhoum.

La mise en œuvre des nationalisations

Cette étape n’a pas été facile non plus, parcequ’il lui fallait aussi une organisation et des moyens humains à mobiliser pour prendre en charge la gestion des gisements surtout au lendemain de cette nationalisation, dans la mesure où les compagnies françaises avaient rapatrié tous leurs techniciens et abandonné brutalement les opérations sur le terrain dès le mois de Mai 1971.

Les effectifs en cadres techniques de Sonatrach étaient réduits, et les algériens employés auparavant par les compagnies françaises n’étaient pas nombreux, mais il fallait faire face. Et c’est avec une mobilisation pratiquement générale que la Sonatrach a décidé de le faire. La moyenne d’âge des techniciens algériens mobilisés y compris toute une promotion de techniciens et ingénieurs de l’INH qui étaient en train de faire leur service militaire et ont été affectés à la Sonatrach, était de 24 ans.

Il faut leur rendre hommage, parceque ce qu’ils ont tous réalisé sur le terrain tenait du miracle. Ils n’avaient pas d’expérience de terrain, mais ils avaient la foi et la volonté de relever le défi, grâce aussi il faut le reconnaitre à une dizaine de cadres algériens déjà présents au sein des compagnies françaises, qui n’ont pas abandonné leurs postes.

A titre d’exemple, je peux citer mon propre cas, en tant que jeune ingénieur géologue fraichement diplômé de l’IAP, et recruté à Sonatrach en Avril 1971. J’ai dû rejoindre le gisement de Tin Fouyé Tabankort, avec comme seule « expérience mon diplôme ! ». J’étais accompagné par deux techniciens supérieurs, eux aussi fraichement sorti de l’INH, en Service Militaire et affectés à Sonatrach. Sur le terrain, il n’y avait qu’un seul ingénieur réservoir qui était responsable du gisement avec un technicien supérieur, tout deux faisant partie des effectifs de la compagnie française opératrice (SOPEFAL). Notre mission comme nouveaux venus était d’assurer la supervision des forages de production durant ce premier séjour qui a duré plus de 9 semaines, et c’est ce que nous avions réalisé sans se rendre compte que cela s’est parfaitement bien déroulé.

Tous les ingénieurs et techniciens affectés sur les gisements abandonnés par les compagnies françaises ont ainsi relevé le défi, et réussi à faire fonctionner les installations sans aucun dommage ou arrêt de production.

Les défis du présent et du futur

Au cours des décennies qui ont suivi, il y a eu une reprise progressive des travaux d’exploration, y compris en partenariat vers la fin des années 70 et début 80, notamment la réorganisation du domaine minier. Mais l’évènement le plus important fut la mise en œuvre d’une nouvelle loi pétrolière en 1986 qui a pu permettre l’accroissement des travaux d’exploration en partenariat, surtout au cours des années 90 malgré des conditions sécuritaires très défavorables. Le résultat a été spectaculaire : le renouvellement des réserves pétrolières au meme niveau de celui qui existait en 1971.

Puis sont venue les années 2000 avec surtout la crise pétrolière de 2014 qui a fait chuter les prix, et dont on n’a pas encore récupéré les niveaux atteints, suivie d’un cortège de crises et de conflits depuis 2020, dans un contexte caractérisé par un ensemble d’incertitudes qui s’accumulent, s’additionnent et impactent toutes les politiques, et toutes les stratégies de développement ou d’alliances à travers le monde. Tout porte à croire que nous sommes à la veille d’une nouvelle ère énergétique, au cours de laquelle la souveraineté sur les ressources ne suffira pas pour relever tous les défis qui vont en découler. La dimension énergétique est au cœur de toutes les préoccupations quand elle ne constitue pas elle-même la préoccupation centrale de tous les pays. Il s’agit entre autres :

1-  De la préoccupation mondiale en matière de sécurité ou plutôt d’indépendance énergétique.

2-  De la volonté des grands pays consommateurs, surtout ceux sans ressources en Hydrocarbures, pour accélérer leur transition énergétique.

3-  De la volatilité du marché des hydrocarbures surtout pour les pays dont l’économie en dépend.

4-  De la prise de conscience des impacts du changement climatique, et par conséquent la mise en place de nouveaux modèles de consommation à travers sa réduction ou le recours à de nouvelles sources d’énergie.

5-  Et bien d’autres facteurs surtout géopolitiques accompagné de fortes incertitudes sur les facteurs en mesure d’impacter le contexte énergétique mondial.

L’Algérie n’est pas un grand producteur de pétrole ou de gaz pour le moment, par rapport à d’autres pays ou meme d’autres compagnies internationales dans ce domaine, à moins d’accélérer le recours aux hydrocarbures non conventionnels. Ce qui la caractérise toujours en tant qu’acteur pétrolier et gazier depuis plus de 60 ans :

  • C’est maintenant et pour le futur son potentiel en ressources énergétiques renouvelables qui peuvent jouer un rôle considérable aussi bien pour sa propre sécurité énergétique au cours des décennies futures, que pour consolider son poids sur la scène énergétique régionale et mondiale.
  • C’est aussi son potentiel en hydrocarbures non conventionnels, non exploité à ce jour, et qui la place au 3ème rang mondial. Est-ce qu’il sera exploité ou non ? je ne le sais pas parceque cela dépend de plusieurs paramètres, dont le succès des transitions énergétiques en cours à travers tous les pays y compris l’Algérie, et par conséquent les consommations, le marché, la rentabilité, les technologies de développement, les politiques de développement, et bien sur celles relatives à la lutte contre le réchauffement climatique.

Chacun de ces paramètres correspond à un ou plusieurs défis qui doivent maintenant etre pris en charge par les nouvelles générations, qui doivent s’inspirer de l’esprit du 24 février, mais doivent aussi faire preuve d’innovation avec un regard vers l’avenir, en tenant compte des nouveaux défis qui s’annoncent dans un contexte mondial énergétique et géopolitique complètement différent de celui des décennies passées ou de celui du 24 Février 1971.

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