Par Dr. Mohamed Cherif Belmihoub
A la faveur d’un voyage d’exploration, d’observation et d’évaluation de certaines expériences, organisé par une entreprise de machinisme agricole (MotorEst, sise à Constantine) au profit d’investisseurs, d’experts, d’universitaires, d’instituts de recherche et de fabricants internationaux d’équipements agricoles, l’opportunité de rédiger cette chronique sur l’agriculture saharienne s’est imposée à nous.
Une mutation en cours : des cultures maraichères à des cultures stratégiques
Après les succès enregistrés dans l’agriculture saharienne aux portes du désert, particulièrement Biskra et El Oued, celle-ci s’étend maintenant au grand Sud. Les différences entre les deux régions sont significatives tant par les cultures pratiquées que par les conditions d’exploitation. Si les Wilayas de Biskra, de Ouargla et d’El Oued ont brillé par leurs performances dans les cultures maraîchères, celles du Grand Sud (Menea, Timimoun, Adrar, …) accueillent des cultures stratégiques comme les céréales (blés, mais), la tomate industrielle, la betterave sucrière, et aussi les fourrages destinés à l’alimentation animale (luzerne, ensilage du mais). Il faut ajouter aussi que l’utilisation des eaux souterraines n’est pas la même. Au grand Sud, nous sommes sur la nappe Albienne et plus précisément sa partie inférieure appelée « Continental Intercalaire ».
Donc, l’agriculture saharienne est une réalité, ceci n’est pas une nouveauté puisqu’on a commencé l’exploitation des sols et de l’eau du Sud dans les années 70 avec les exploitations de la tomate dans la région du Sud Ouest (périmètre d’Abadla) et dans les années 80 avec les fermes céréalières expérimentales, avec la coopération américaine, dans le périmètre de Gassi Touil (au sud de Hassi Messaoud). Ces expériences, qui ont été le fait d’opérateurs publics, ont complètement disparues aujourd’hui, ou en totale reconfiguration.
Aujourd’hui, la mise en valeur des périmètres s’accélère et nous assistons à des opérations de grandes envergures conduites par des investisseurs algériens, publics et privés, des sociétés comme les entreprises publiques (Sonatrach, Cosider, Madar, OAIC…) et Cevital (Betterave sucrière)…, et d’autres internationaux à l’instar de Baladna (Qatar, lait), de société italienne (blé dur et pates alimentaires), des opérateurs turcs (céréales) et De nombreuses exploitations privées sont aussi présentes dans ces périmètres. Il s’agit des modèles d’exploitation de type Corporate « Firme agricole », loin des exploitations paysannes ; en fait une agriculture sans paysans.
De bonnes performances…….
Aujourd’hui, la contribution de l’agriculture saharienne à la production nationale agricole est d’environ 25%. Les rendements sont, de l’avis des exploitants, excellents et la rentabilité financière des exploitations est suffisante. A titre d’exemple, le rendement moyen à l’ha de blé dur est autour de 65-70 quintaux. Une nouvelle culture a été testée, la « Triticale », et les résultats sont probants de l’avis des cultivateurs. Cette culture est considérée comme une culture fourragère, mais les cultivateurs nous ont parlé d’une expérience réalisée dans une ville du Sud consistant à mélanger la Triticale à 40% avec la farine panifiable pour fabriquer un pain de grande qualité insistent-ils. Les rendements sont très élevés, la culture moins coûteuse et plus résistante aux conditions climatiques. Voilà, peut être une voie pour sortir du tout blé tendre dont notre pays importe plus de 70% des besoins et dont les rendements au Nord sont très faibles.
Ces performances économiques et financières sont portées par des investissements lourds en matériels agricoles (aucun soutien de l’Etat), par des coûts de l’énergie (généreusement subventionnée) par des coûts d’irrigation (forages et systèmes de pivots, correctement soutenus) et par des coûts des fertilisants, jugés encore excessifs si l’on intègre les coûts de transport.
Mais aussi des défis à relever à long terme
Tout compte fait, l’exploitation des terres sahariennes est une réalité économiquement viable, cependant, il y a quelques réserves sur sa durabilité. Le pompage de l’eau sans contrôle risque d’avoir des impacts sur la nappe, même si les réserves sont immenses (Autour de 60.000 Mds de m3 pour les deux réservoirs Albiens, sur les trois pays : Algérie, Tunisie et Libye, dont 70% en Algérie). Le renouvellement se fait autour d’un Md M3 par an seulement, alors que les volumes puisés ne sont pas connus avec précision mais certainement en forte croissance si l’on tient compte des nouveaux périmètres en projet. Ce réservoir n’est pas exempt des risques hydrogéologiques à terme. Il serait d’ores et déjà nécessaire de mettre en place des systèmes de régulation et de surveillance pour préserver une ressources peu renouvelable et surtout la protéger des risques de nature écologique et/ou hydrogéologique, comme la salinité, la pollution par des infiltrations des produits chimiques par l’effet des lessivages induits par une irrigation abondante.
En raison du volume des investissements déjà en place et ceux en cours d’installation, il devient urgent d’organiser le système production agricole saharien en mettant en place des systèmes de régulation, des incitations pour une irrigation rationnelle. Deux actions seraient souhaitables, la première en direction des technologies d’exploitation (système productif, système d’irrigation, protection écologique, …); la seconde va plutôt vers une réglementation plus stricte sur l’usage des principales ressources mises en œuvre (l’eau et le sol). L’énergie la plus utilisée dans ce nouveau système productif agricole demeure encore les carburants ; coupler ce nouveau système avec l’énergie solaire serait un atout supplémentaire pour sa durabilité et même pour sa performance économique. Aussi, il est d’une importance capitale de s’intéresser de manière sérieuse aux semences dans toutes les filières agricoles y compris la filière animale.
Au final, un modèle réussi au plan économique et financier appelle à une fiscalité appropriée si l’on veut maintenir les subventions accordées aujourd’hui alors que le Trésor public ne reçoit aucune contrepartie fiscale. La progressivité, par opposition à la brutalité, doit être la règle dans les démarches de l’action publique dans ce domaine et sur ces territoires.
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=4144