Abdelmadjid Attar au Jeune Indépendant : « De grandes entreprises américaines de l’énergie veulent revenir en Algérie »

Rédaction (A.M)
Hydrocarbures
Rédaction (A.M)19 novembre 2023
Abdelmadjid Attar au Jeune Indépendant : « De grandes entreprises américaines de l’énergie veulent revenir en Algérie »

Entretien réalisé par Lilia Aït Akli et publié sur le magazine numérique Jeune-Indépendant

L’ancien ministre de l’Energie, Abdelmadjid Attar, actuellement consultant indépendant dans les domaines de l’énergie, l’hydraulique et l’environnement, a évoqué, dans cet entretien accordé à nos confrère du magazine numérique « Jeune Indépendant » en marge du Salon professionnel international des secteurs de l’énergie et des hydrocarbures à l’échelle méditerranéenne et africaine (NAPEC), l’attractivité de l’Algérie et, surtout, l’intérêt des entreprises américaines, notamment pour l’exploitation du gaz non conventionnel.

La stratégie de l’Algérie qui ambitionne d’accroître la production du pétrole et du gaz, tout en développant les énergies propres, a été aussi signalée, en sus de la situation du marché international du pétrole

Jeune Indépendant : Le Napec dans sa 11ème édition a regroupé les grands acteurs du secteur énergétique. Il y a des entreprises qui l’habitude d’y participer mais aussi de nouvelles compagnies ont pris part à cette édition. Cela explique-t-il un intérêt croissant pour le secteur énergétique algérien ?

=> Abdelmadjid Attar : Le NAPEC de cette année est nettement différent des précédents, du moins ceux auxquels j’ai assisté. Pas par la présence des opérateurs mais par les thèmes traités. La transition énergétique, les énergies renouvelables, l’hydrogène… ont été au centre des conférences.

En matière de présence, c’est surtout la présence des sociétés américaines, à l’image de Chevron, ExxonMobil, OXY, qui est remarquable, sans compter celle des Européens TotalEnergies, Eni, et Wintershall.

Comment expliquer cette forte présence des entreprises américaines ?

=> A mon avis, pour ExxonMobil et Chevron qui veulent revenir en Algérie, elles sont intéressées par le gaz, principalement le gaz de schiste. Ils savent parfaitement que l’Algérie est un pays qui comporte un potentiel extraordinaire qui est supérieur à 22 000 milliards de M3de gaztechniquement récupérable. La plupart des réserves, surtout en matière de liquides et de gaz, sont situées beaucoup plus autour du bassin de Berkine et d’Illizi. C’est ce qui explique la présence de ces deux grandes sociétés américaines. C’est tant mieux pour l’Algérie à condition qu’il y ait un partenariat gagnant-gagnant.

Des discussions semblent avoir été entamées avec ces sociétés, dans le cadre de la nouvelle loi sur les hydrocarbures (19-13), et il était prévu de lancer un appel d’offre qui a été reporté à maintes reprises. A priori, il va être lancé en 2024. Maintenant, est-ce que cet appel d’offre va se faire sur des périmètres d’exploration comme on avait l’habitude de faire, ou bien alors un appel d’offre qui va comporter aussi l’accès à la recherche et à la production du gaz et de pétrole de schiste ? Pour ces derniers, il est effectivement difficile de lancer un appel d’offre car leur recherche et exploitation se fait sur de grandes surfaces, il faut le faire sur 50 000 à 100 000 Km2. Et puis ce sont des programmes de recherche, de développement et de production qui vont s’étaler sur des dizaines d’années. Et quand on démarre le gaz de schiste, il ne faut surtout pas s’arrêter afin de garantir la rentabilité dans le temps.

L’orientation semble être un peu plus claire pour l’Algérie : accroître la production, notamment du gaz pour répondre à la demande locale mais aussi celle des clients étrangers, tout en développant les énergies renouvelables. Que pensez-vous de cette orientation ?

=> C’est en effet ça. Compte tenu des impacts des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur le climat et l’environnement, le monde est en train de s’orienter vers une période où il consommera de moins en moins de carburants et donc d’énergies fossiles surtout le pétrole dont le transport est le plus grand consommateur et le plus grand émetteur de gaz à effet de serre.

Mais quand on parle d’énergies fossiles, il faut faire la différence entre le pétrole et le gaz. Le gaz naturel a de l’avenir, car sans lui il n’y aura pas de transition énergétique. C’est la source d’énergie qui permettra la transition énergétique, à travers un mix énergétique plus propre, moins émetteur de gaz à effet de serre.

Dans le développement des énergies renouvelables (solaire et éolien), certains problèmes se posent encore de nos jours. Il y a en premier lieu le problème d’intermittence de ces énergies, leur stockage qui coûte cher, mais aussi la non-abondance dans le monde des minéraux rares (lithium, cobalt, etc…), à moins que le progrès technologique permette de faire face dans le futur à la rareté de ces minéraux.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire et il faut développer les énergies renouvelables. Chose que l’Algérie a commencé avec le lancement de la réalisation d’une capacité de production de 15 000MW à l’horizon 2035. Mais c’est très peu par rapport aux besoins futurs du pays au vu de la croissance de la consommation nationale. Si on veut modifier le mix énergétique algérien, il faut faire deux ou trois fois plus ce chiffre.

Donc, en raison de l’intermittence de ces énergies renouvelables, la rareté des minéraux rares, le gaz sera la source qui garantira la sécurité énergétique en Algérie et ailleurs. Tous les autres pays continueront à dépendre du gaz naturel jusqu’à 2050 et au-delà. D’où l’intérêt pour le potentiel algérien en matière de réserves en gaz conventionnel et non conventionnel.

Néanmoins, continuer à utiliser le gaz c’est bien, mais il faut absolument tenir compte de la nécessité de lutter contre les dérèglements climatiques. Cela en éliminant tout ce qui nuit au climat en provenance des sources d’énergies fossiles. Il faut capter le CO2, le stocker dans le sous-sol, et essayer d’émettre le moins possible de gaz à effet de serre en recourant à l’utilisation des nouvelles technologies. Il y a beaucoup de choses à faire dans ce sens.

Sur le plan international, le marché pétrolier est attentif à ce qui se passe au Moyen-Orient et le risque de l’extension de la guerre à d’autres pays, de grands producteurs. Un choc pétrolier est même avancé par la Banque Mondiale qui prédit un « pire scénario ». Comment voyez-vous cette probabilité ?

=> Le marché pétrolier est stabilisé grâce à l’OPEP+. S’il n’y avait pas cette cohésion au sein de l’OPEP+, le prix du pétrole aurait pu être aujourd’hui extrêmement bas ou haut et ça aurait complètement déréglé l’économie mondiale. Il faut savoir que tout choc pétrolier est limité dans le temps, vu les expériences passées. Tant qu’il y a de la cohésion au sein de l’OPEP+, le prix du baril va rester stable, et ce n’est pas dans l’intérêt essentiellement des pays producteurs, d’où la position de l’Arabie Saoudite qui pèse de tout son poids pour que le prix soit stable et ne soit pas très haut, ni trop bas. Sans cohésion au sein de l’OPEP+, on risque d’avoir un choc pétrolier, aussi bien vers le haut et vers le bas.

En général, si le choc tire le prix vers le haut, il va durer au plus six mois.  Mais si le choc pétrolier tire le prix vers le bas, il a toutes les chances de durer longtemps au détriment des pays producteurs. Car les principaux consommateurs du pétrole ont intérêt à ce que le pétrole soit au plus bas possible et ils vont tout faire pour le maintenir au maximum à 40 dollars.  La raison pour laquelle la politique actuelle de l’OPEP+, grâce à la cohésion principalement entre l’Arabie Saoudite et la Russie, principaux producteur, œuvre à maintenir cette situation.

Je pense que le prix va rester à ce niveau jusqu’à ce qu’on puisse voir un peu plus clair d’ici 2024 ou 2025, surtout en ce qui concerne les mutations géopolitiques qui sont en cours.

Le 7e Sommet du Forum des pays producteurs de gaz va se tenir en Algérie le mois de mars 2024. Selon vous, est-ce une reconnaissance pour l’Algérie pour son rôle dans l’industrie gazière ? Peut-on parler d’une sorte d’OPEP du gaz ?

=> On en parle beaucoup. Jusqu’à présent le problème c’est la composition de ce Forum. Tous les membres n’ont pas les mêmes politiques et objectifs ou alliances, en dehors de l’industrie gazière. Ce n’est pas comme à l’OPEP, où dès le début, c’était un organisme chargé de défendre l’intérêt des producteurs. Le Forum a, quant à lui, été créé pour un échange des données, des informations en matière de recherche et de technologies. C’est beaucoup plus un organisme de concertation.

Mais dans le futur, avec la mise en valeur du gaz au sein de la transition énergétique, son importance va encore augmenter sur la scène énergétique.

C’est possible et c’est même souhaitable qu’il devienne une sorte d’OPEP pour défendre non seulement l’intérêt des pays producteurs, mais surtout le marché de façon à ce qu’il ne soit pas déréglé et, ainsi, éviter la survenue de chocs. A mon avis, ce n’est pas pour demain car les stratégies des pays membres ne sont pas les mêmes.

Pour ce qui est de sa tenue en Algérie, il est périodiquement organisé dans un des pays producteurs. Pour nous, c’est une bonne chose qu’il se déroule chez nous sachant que nous sommes un acteur gazier extrêmement important, le plus important d’Afrique. Cela, compte tenu de notre position géographique, étant en face de l’Europe, principal client de l’Algérie qui est aussi un pays pionnier en GNL. La première unité de GNL c’était à Arzew au début des années 1960.

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