BRICS-11 : UNE NOUVELLE TRAJECTOIRE A LA MESURE DE SON POIDS GEOPOLITIQUE, ECONOMIQUE, ET ENERGETIQUE ?

Rédaction (A.M)
2023-08-28T14:02:00+02:00
Hydrocarbures
Rédaction (A.M)28 août 2023
BRICS-11 : UNE NOUVELLE TRAJECTOIRE A LA MESURE DE SON POIDS GEOPOLITIQUE, ECONOMIQUE, ET ENERGETIQUE ?

Le groupe des BRICS vient de s’élargir et passe de 5 à 11 membres. Que cela soit surprenant ou non selon les pronostics qui étaient émis avant la rencontre de Johannesburg, il est difficile de porter un jugement sur les choix qui se sont portés sur les 6 nouveaux membres parmi les 25 prétendants, et encore moins sur les critères (s’ils existent ?) qui ont permis d’atteindre l’unanimité des 5 membres du groupe. Rien n’a filtré sur ces critères et il faudra peut-être attendre une période de décantation pour en savoir plus, et ce d’autant plus qu’il est question « d’une invitation lancée aux cinq pays pour rejoindre le groupe BRICS à compter de Janvier 2024 ».

Il faut admettre que ce processus est empreint de nombreuses inconnues, dans la mesure où le groupe des BRICS ne dispose pas encore à notre connaissance de structures permanentes  ou d’une organisation à l’image de ce que nous connaissons du G7, en dehors de la Banque de développement « NDB » présidée par l’ancienne présidente du Brésil Dilma Roussef ayant son siège en Chine.

Ce qui nous intéresse aujourd’hui et dans l’immédiat est de mesurer le poids de ce futur groupe en supposant qu’il comportera effectivement 11 membres, à partir du poids de chaque membre à l’échelle mondiale, sur le plan géopolitique, économique et énergétique, qui semblent correspondre aux trois paramètres clés autour desquels les « BRICS-11 » pèseront ou non sur les profondes mutations géopolitiques et géoéconomiques à l’échelle mondiale. Il faudra aussi tenir compte du fait que tous ces membres ne partagent pas les mêmes systèmes politiques ou économiques, avec parfois des alliances en cours avec d’autres institutions internationales, d’où la prudence dans les termes de la déclaration finale de Johanesburg.

LA DECLARATION DE JOHANESBURG II

La déclaration finale de Johanesburg intitulée « Les BRICS et l’Afrique : Partenariat pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif » reflète parfaitement le consensus rassurant que les BRICS voulaient afficher, et dont nous reprenons ci-dessous quelques engagements et objectifs parmi les plus importants :

  • Multilatéralisme, respect du droit international.
  • Réforme des Nations unies, du Conseil de sécurité, et de l’OMC.
  • Réforme des quotes-parts du FMI et des institutions de Bretton Woods.
  • Règlement pacifique des conflits et différents par le dialogue.
  • Respect des principes de la Charte des Nations Unies et amélioration de la gouvernance mondiale.
  • Soutien à la continuité et à la collaboration dans le cadre du G20, ainsi que l’inclusion de l’Union Africaine en tant que membre du G20 lors du prochain sommet du G20 à New Delhi.
  • Une plus grande représentation des marchés émergents et des pays en développement.
  • Protection et respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales, de la démocratie, et renforcement des échanges entre les peuples des BRICS.
  • Renforcement de la coopération et du développement agricole durable pour améliorer la sécurité alimentaire au sein des BRICS et dans le monde entier.
  • Soutien à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine en faveur de l’intégration et de la zone de libre-échange africaine.
  • Défense, promotion et renforcement de la réponse multilatérale au changement climatique, et contribution à la réussite de la prochaine COP28 à Dubai.
  • Relever les défis en matière de sécurité énergétique en encourageant les flux d’investissements dans le domaine de l’énergie, et de la transition énergétique.

La première observation qu’on pourrait émettre est que les nouveaux BRICS, ne remettent pas en cause l’existence des institutions et des partenariats politiques et économiques existant actuellement à travers le monde, et encore moins les libertés de choix de ses membres vis-à-vis de ces institutions. Il n’est mentionné que des réformes et des adaptations, et parfois même un renforcement des actions ou des arbitrages entres les pays ou les communautés. Le groupe des BRICS a ainsi clôturé son 15ème sommet en« invitant 6 pays à devenir membres à part entière des BRICS à compter du 1er Janvier 2024, et en chargeant ses ministres des Affaires étrangères de poursuivre l’élaboration du modèle de pays partenaire des BRICS, et d’une liste de pays partenaires potentiels, et de présenter un rapport d’ici le prochain sommet ».

Cela pourrait signifier que ce modèle n’est pas encore au point, et ses critères encore moins, aussi nous nous contenterons pour le moment à analyser ce qu’étaient les BRICS de 2022, ce qu’ils seront à compter de 2024, et en quoi le nouveau groupe « BRICS-11 » pourrait peser à l’avenir.

LE NOUVEAU « BRICS-11 » Vs « BRICS-5 »

Au point de vue géographique et humain, on constate que le Groupe BRICS passe de 26,72% des terres émergées à 32,7%. Sa part de la population mondiale passe de 40,4% (3,3 Mds Habitants) à 45,5% (3,7 Mds habitants). On peut conclure que cette évolution n’est pas importante, mais il n’en demeure pas moins que le poids démographique demeure surtout important parcequ’il va s’appuyer sur les trois espaces géographiques les plus peuplés (Asie-Afrique-Amérique Latine), avec des besoins en investissements énormes, et capacités de production, de consommation, et d’échanges  commerciaux importants aussi bien au sein des BRICS qu’à travers les espaces géographiques concernés. L’autre succès et avantage, vient de l’incorporation des 3 pays du Moyen Orient, dont un (Iran) fait déjà partie de l’Organisation de Coopération de Shangai (OCS) avec la Chine, l’Inde et la Russie. Ces 3 pays possèdent en plus les plus importantes réserves en hydrocarbures, des contrats d’exportations à long terme vers l’Asie, ainsi que des capacités d’investissements conséquentes en ce qui concerne l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis. Cet élargissement est d’ores et déjà une garantie supplémentaire pour la stabilité de cette région.

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Le PIB des BRICS à 5 membres correspondait en 2022 à 25,94% (26.196,5 Mds de dollars) du PIB mondial (nominal). Avec 11 membres, il va passer à 29,14% (29.436,9 Mds de dollars), ce qui est certes positif mais pas extraordinaire en matière d’évolution, du fait du niveau de PIB propre à chaque nouveau membre en dehors des deux pays du Moyen Orient (Arabie Saoudite et Emirats Arabes Unis) qui se démarquent largement des 4 autres nouveaux membres. Toujours est-il qu’il faut noter qu’en 2023, la part du PIB des BRICS va être plus élevée que celui du G7 qui n’est que de 29,9%.

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En matière de PIB par habitant, on constate par contre que le PIB moyen par habitant des BRICS à 5 membres va passer de 9.229 dollars en 2022, à 13.973 dollars, et sera supérieur à la moyenne mondiale qui est de 12.647 dollars. Cette croissance est aussi largement due au PIB par habitant des deux pays du Moyen Orient que sont l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.

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On peut déjà conclure que la progression de ces deux paramètres a certes amélioré le classement des BRICS dans le monde, mais il aurait pu aussi progresser plus avec d’autres pays ou même moins de nouveaux membres. Cela nous amène à penser que les choix de l’élargissement des BRICS a obéi à d’autres critères beaucoup plus importants, une sorte de « package géostratégique et géopolitique » dans lequel chacun des membres et le groupe BRICS lui-même préservera ses intérêts par rapport aux mutations géopolitiques et économiques en cours et à venir dans le monde, et par rapport aux intérêts économiques et plus précisément les échanges à l’intérieur des BRICS eux-mêmes.

IMPORTANCE DES INVESTISSEMENTS ET DES MARCHES FUTURS

L’objectif de s’élargir en priorité vers le Sud du globe est en principe atteint avec les 6 nouveaux membres, mais le plus important était aussi de s’élargir vers de nouveaux marchés à l’intérieur des BRICS entre ses membres, et géographiquement accessibles autour de ses membres. Le cas de l’Egypte et de l’Ethiopie est particulier, et ce d’autant plus que l’Egypte est déjà membre de la banque des BRICS (NDB), avec même un financement sur un projet dans les Energies Renouvelables en Egypte. Leur adhésion aux BRICS permettra probablement aussi un apaisement de leur relation autour du conflit relatif aux eaux du Nil.

Qui dit marché, dit croissance économique, et par conséquent investissement pour produire plus, et consommation issue d’une croissance démographique importante. En dehors de la Chine et l’Inde qui sont de toutes les façons déjà membres du groupe, il est prévu que la population de l’Afrique connaitra le taux de croissance démographique le plus important à l’horizon 2050 avec +71%. Sa population passera de 1,4 MDS d’habitants en 2023 à 2,4 Mds. Le Nigéria va demeurer le pays le plus peuplé en 2050 (375 MM Hab), mais avec l’Ethiopie (213 MM Hab) et l’Egypte (160 MM Hab) en troisième et quatrième position, devancées par la RDC (215 MM Hab).

En Asie le taux de croissance démographique ne sera certes que 12%, pour passer de 4,73 à 5,29 Mds Hab, essentiellement tiré par l’inde (1,67 Mds Hab) et la Chine (1,31 Mds Hab).

L’Afrique correspondait ainsi au centre d’élargissement favori, à travers les deux pays dont non seulement l’économie est en plein essor, mais pouvant correspondre à de futures zones d’investissement, de production d’équipements et biens de consommation, localement et bien sûr en transit vers tout le continent africain et d’autres régions du monde dont le Moyen Orient, ainsi que les BRICS. L’Ethiopie est par ailleurs connue pour ses capacités de production agricole, pouvant nourrir toute l’Afrique et le Moyen Orient, et par conséquent une zone pouvant recevoir d’énormes investissements à l’avenir dans le secteur agricole.

Les choix en matière d’élargissement des BRICS ont dû certainement être influencés aussi bien par les besoins en investissements, qu’en capacité de mobilisation de nouveaux investissements dans ou à partir des 6 pays sélectionnés, en fonction des stratégies en cours de mise en œuvre et de leur attractivité. C’est d’abord le cas de l’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis, déjà fortement implantés en Egypte et en Ethiopie, pays ayant des besoins importants et très attractifs, et qui sont capables de mobiliser d’importants investissements en complément avec ceux de la Chine et de l’Inde. Le cas de l’Iran est probablement lié à son appartenance à l’OCS, aux importants accords stratégiques avec la Russie et la Chine, et à l’importance de ses relations en amélioration en ce moment avec ses voisins du Moyen Orient, ce qui fait du Moyen Orient un ensemble géostratégique indissociable. Le cas de l’Argentine, allié du Brésil, était inévitable pour un élargissement en Amérique Latine, même s’il fait face actuellement à des difficultés économiques très graves. Il ne possède pas autant de ressources que le Venezuela par exemple, mais le Brésil se devait de le sauver sur le plan économique en le rattachant au groupe des BRICS.

LES RESSOURCES ENERGETIQUES ET LEUR POIDS ACTUEL DANS LES RELATIONS AU SEIN ET A L’EXTERIEUR DES BRICS.

Il s’agit probablement du volet ou du critère qui a du faire l’objet d’une unanimité parfaite, qui a permis d’accueillir 3 nouveaux membres situés autour de l’une des zones où se situent les véritables enjeux de la crise énergétique actuelle, et les principales rivalités autour de l’accès, et si possible du contrôle des ressources énergétiques et de leur marché au cours des décennies à venir.

Au pont de vue des réserves en Hydrocarbures, les 5 membres actuels des BRICS possèdent environ 150 Mds de barils de pétrole et 46.000 Mds M3 de gaz, soit respectivement 9% et 24% des réserves mondiales, l’essentiel étant par ailleurs situé en Russie, avec 108 Mds de barils de pétrole (6 sur les 9%), et 38.000 Mds M3 de gaz (20 sur 24%). C’est peut être beaucoup mais peu par rapport à celles détenues dans les régions où sont justement situés 3 des pays qui vont rejoindre les BRICS.

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Il s’agit du Moyen Orient qui possède 831 Mds de barils de pétrole et 75.000 Md M3 de gaz, soit respectivement 48% et 40% des réserves mondiales. Les 3 pays nouveaux membres des BRICS (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Iran) renferment l’essentiel de ces réserves, à savoir :

  • 32% des réserves mondiales de pétrole (550 Mds de barils).
  • 25% des réserves mondiales de gaz naturel (44.000 Mds M3).

Une bonne partie du pétrole de ces 3 pays est exportée en ce moment vers la Chine et l’Inde, le gaz provenant essentiellement d’autres pays du Golfe (Qatar et Oman). Mais il faut préciser que l’Iran renferme à lui seul l’essentiel des réserves gazières du Moyen Orient (32.000 Mds M3) dont il ne produit actuellement qu’environ 250 Mds M3 par an pour sa consommation intérieure, en attendant de pouvoir exporter d’importants volumes de GNL à partir des infrastructures en cours de réalisation. Il suffit de rajouter les réserves situées dans les BRICS-5 pour deviner les enjeux géostratégiques découlant de cette répartition dans laquelle les BRICS-11 possèderont :

  • 41% des réserves mondiales de pétrole.
  • 49% des réserves mondiales de gaz naturel.

Le rôle des ressources non renouvelables (hydrocarbures et charbon essentiellement) demeurera incontestable au moins jusqu’à l’horizon 2035 du fait de l’importance des réserves disponibles, notamment grâce à l’avènement des hydrocarbures non conventionnels. Elles continueront à fournir à cet horizon pas moins de 54,5% de la consommation mondiale d’énergie pour les hydrocarbures et 23,5% pour le charbon. La demande et la consommation de gaz naturel connaitront une autre trajectoire. A moyen et long terme sa consommation continuera à être tirée par la génération électrique surtout (47% de la consommation) et l’industrie pétrochimique. Il va par conséquent jouer un rôle prépondérant dans le mix énergétique global, et par conséquent la sécurité énergétique qui est au centre de toutes les préoccupations régionales, en particulier au niveau des pays les plus gros consommateurs : la Chine et l’Inde, principal marché énergétique dans le monde et au sein des BRICS.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que les capacités de production à travers les investissements nécessaires, et le marché des ressources énergétiques sont encore dominés en grande partie par les pays occidentaux et plus particulièrement les Etats Unis, à travers l’utilisation du dollar. Le sommet de Johannesburg a juste évoqué pour le moment le développement des échanges en monnaies locales même si l’objectif final est d’en finir avec son monopole. On peut donc conclure que l’élargissement des BRICS qui vient d’être décidé, est basé sur un consensus autour de critères et d’objectifs beaucoup plus géopolitiques qu’économiques, dont la mise en œuvre et le succès ne seront visibles et appréciables qu’après Janvier 2024 et plus précisément lors du prochain sommet à Moscou en Octobre 2024.    

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