Les approvisionnements énergétiques sont souvent sources de tensions et de conflits entre états exportateurs et importateurs. On constate aujourd’hui, et probablement encore dans le futur, que la plupart des révolutions internes dans les pays ou les régions détenant d’importantes ressources énergétiques, des conflits régionaux, des guerres, et même des retards au point de vue développement, sont liés à ces ressources énergétiques et les convoitises qui les entourent. Malgré les nationalisations qui marquèrent l’histoire de ces ressources, les réformes dans l’objectif d’en améliorer le contrôle, l’usage dans l’intérêt des économies des pays concernés, le monde n’a pas fini de subir les impacts des convoitises sur ces richesses. Nous allons visiter une partie de cette histoire et voir comment les tensions entre Iran et Etats Unis sont apparus avec le pétrole, comment on pourrait le faire avec l’Irak.
Jusqu’en 2022, les sanctions imposées par les États-Unis sur les exportations de pétrole iranien perturbent toujours le marché pétrolier international. Ces mesures s’inscrivent dans le contexte des pressions internationales exercées contre le programme nucléaire iranien. Cependant, pour mieux comprendre les positions particulièrement hostiles des deux pays adverses, il est nécessaire de rappeler certains événements passés.
Depuis la révolution islamique de 1979, en raison des relations conflictuelles entre les États-Unis et l’Iran, les dirigeants religieux chiites et les membres haut placés du gouvernement de la République islamique considèrent souvent le coup d’État de 1953 comme le point de départ de leur hostilité envers les États-Unis. Organisé par les services secrets britanniques et américains, le coup d’État destitua le Premier ministre Mohammad Mossadegh, élu à la majorité des voix au parlement iranien (le Majlis) le 28 avril 1951.
Pourquoi les États-Unis et la Grande-Bretagne renversèrent-ils Mossadegh ? Comment planifièrent-ils puis exécutèrent-ils le coup d’État ? Outre la destitution, quels objectifs furent poursuivis et obtenus ? Pourquoi les dirigeants chiites iraniens considèrent-ils toujours cet événement survenu au milieu du 20e siècle comme la raison première de leur hostilité envers les États-Unis ? D’ailleurs, pourquoi leur hostilité est-elle plus forte envers les États-Unis qu’envers la Grande-Bretagne ?
Essayer d’apporter une réponse à ces questions constitue l’objectif de ce bref essai, dont la particularité réside dans l’utilisation, non seulement de sources secondaires, comme il est assez courant de le faire pour ce genre d’analyse, mais aussi de sources primaires : archives déclassifiées et rendues publiques par l’ONG National Security Archive (archive sur la sécurité nationale) et le département d’État des États-Unis (Foreign Relations of the United States : FRUS, 2017) depuis le 19 août 2013, à l’occasion des 60 ans du renversement du Premier ministre Mossadegh (1951-1953). Mémorandums, notes, rapports, télégrammes, articles d’opinion… des documents qui reconnaissent officiellement l’intervention de l’Agence centrale de renseignement (CIA), alors récemment créée (1947), et du département d’État des États-Unis dans « l’opération Ajax » et le coup d’État de 1953 en Iran.
1- « La concession D’Arcy » : Source de débats et de conflits entre l’Iran et la Grande-Bretagne
Les relations pétrolières contemporaines entre la Grande-Bretagne et l’Iran (autrefois appelé Perse) datent de 1901, quand le citoyen britannique William Knox D’Arcy, soutenu par les représentants diplomatiques de son gouvernement à Téhéran, obtint une concession de Mozaffaral-Din, cinquième shah de Perse de la dynastie des Qadjars (1796-1925). Le concessionnaire obtint le monopole de la recherche, de l’extraction, de la distribution et de la vente de pétrole, de gaz naturel, d’asphalte et d’une classe spécifique d’hydrocarbure (appelée ozokérite) sur un périmètre de 1 242 000 km2 (les trois quarts du territoire national) pour une durée de 60 ans (1901-1961). Il s’engagea à payer 20 000 livres sterling en argent comptant, 20 000 livres en actions de la première compagnie qu’il fonderait et « 16 % des bénéfices nets annuels » comme redevance des entreprises dirigées par la concession. Le concessionnaire fut exempté de payer tout impôt national et obtint le droit de faire venir librement des professionnels, des techniciens et des biens sans payer de droits de douane. Les clauses de la concession, rédigée en français, ne pouvaient être interprétées qu’en ayant recours à l’arbitrage international
En résumé, « la concession D’Arcy »(un document de 18 clauses dont la traduction française de l’anglais comptait près de 1 500 mots) réglementait la totalité des relations juridiques et économiques entre l’État et le concessionnaire. Par ailleurs, cette concession montre les rapports diplomatiques de type colonial que la Grande-Bretagne entretenait avec un pays pauvre et peu développé appartenant à sa zone d’influence au début du 20e siècle.
Après avoir dépensé sans succès la plus grande partie de sa fortune à la recherche de pétrole perse, D’Arcy vendit la majorité de ses actions à une autre entreprise britannique en 1905, la Burmah Oil, qui, quatre ans plus tard (à la suite de la découverte de pétrole dans l’immense gisement de Masjed Soleiman au sud-est de la Perse), généra assez de capital et d’actions pour créer une nouvelle filiale, l’Anglo Persian Oil Company (APOC).
Winston Churchill, alors Premier lord de l’Amirauté(1911-1915), convainquit le gouvernement britannique qu’il était dans son intérêt de garantir l’approvisionnement de pétrole en temps de guerre pour la marine et de surmonter les fluctuations de prix en temps de paix. Le gouvernement décida donc de mettre de côté sa politique économique du « laissez-faire » et d’acquérir 51 % des actions de l’APOC qui devint, deux mois avant le début de la Première Guerre mondiale (1914-1918), une compagnie au capital majoritairement public
Pendant la Première Guerre mondiale, le gouvernement perse demanda à l’APOC que la redevance de 16 % des bénéfices nets s’applique sur la base de toutes les entreprises que le concessionnaire avait créées pour commercialiser le pétrole de son pays, qu’elles soient situées à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Iran. Cependant, selon l’APOC, ce calcul devait seulement s’appliquer aux filiales qui opéraient sur le territoire perse et non à l’étranger. Les deux parties n’ayant pas réussi à se mettre d’accord, elles signèrent en 1920 l’accord Armitage-Smith (du nom de l’assesseur financier britannique qui signa l’accord au nom du gouvernement perse). Cet accord reconnaissait la légitimité de l’exigence du gouvernement perse sur la redevance, puisqu’il fut convenu qu’à partir de 1919 elle serait calculée selon ses exigences. L’APOC accepta également de remettre chaque année au gouvernement perse une estimation de la redevance devant être payée. Finalement, les deux parties conclurent le même jour un accord parallèle dans lequel l’APOC accepta de payer au gouvernement 1 million de livres sterling pour solde de toutes les redevances impayées.
La Grande Dépression de 1929 engendra de nouveaux motifs de discorde. Elle diminua les bénéfices nets de l’APOC et donc le montant de la redevance, qui en 1932 ne représentait plus que 24 % de la somme payée en 1931. Le gouvernement perse refusa le paiement et décida de mettre fin à la concession. L’APOC rejeta cette décision unilatérale et menaça le gouvernement, elle soutint que le gouvernement britannique prendrait toutes les mesures nécessaires pour protéger ses intérêts. Le gouvernement perse fit valoir :
- Que l’APOC avait octroyé des aides à ses filiales pour réduire le montant de la redevance
- Qu’elle n’avait pas permis de contrôler les dépenses nécessaires au calcul des bénéfices nets
- Qu’elle avait refusé de payer l’impôt sur le revenu de 4 % (adopté en 1930 par le Parlement national)
- Que si le gouvernement lui avait octroyé la concession gratuitement, l’APOC aurait dû payer 9 millions de livres sterling de plus en droits de douane par rapport à la redevance versée entre 1901 et 1932.
Le gouvernement britannique considéra alors que cette discorde le concernait et décida de régler le litige au Conseil de la Société des Nations (1919-1946). En fin de compte, après des échanges de plaidoiries écrites et verbales devant le Conseil, le gouvernement perse et l’APOC conclurent un nouveau contrat de concession en 1933.
Dans ce contrat, également rédigé en français, le gouvernement perse diminua considérablement la surface de la concession d’origine, qui fut réduite à environ 259 000 km2(Contre 1.242.000 km² au début), ce qui demeurait toutefois un immense territoire. De plus, il obtint que la redevance soit calculée par tonne de pétrolevendue et non sur les bénéfices nets, elle s’élèverait désormais à 4 shillings (or) par tonne. À cela s’ajoutait la garantie d’un paiement annuel minimum de 750 000 livres. Le gouvernement obtint également que l’APOC paie les droits de douane sur ses importations et réduise progressivement le personnel qualifié étranger afin de le remplacer par des Perses. Toutefois, l’APOC obtint aussi des avantages, tels que le droit de choisir la zone de la concession parmi les territoires qu’elle connaissait suffisamment, ou l’exemption fiscale totale, mis à part la redevance et le paiement annuel minimum ou encore la prorogation du terme de 32 ans (de 1961 à 1993). De plus, l’APOC pouvait rendre la concession au gouvernement à tout moment, mais ce dernier ne pouvait ni modifier ni annuler les clauses du contrat de manière unilatérale. Tout différend ne pouvant être réglé à l’amiable serait soumis à l’arbitrage international.
En résumé, le contrat de concession demeurait l’unique instrument juridico-économique qui réglementait les relations entre l’APOC (capitalisée et soutenue par le gouvernement britannique) et le gouvernement perse.
2- La nationalisation de l’industrie pétrolière en Iran
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour les mêmes raisons que précédemment, le gouvernement iranien et l’Anglo Iranian Oil Company (AIOC maintenant) parvinrent à un autre accord, qui améliorait la situation économique du gouvernement, mais qui fut rejeté par le Parlement iranien en janvier 1951. Ce refus s’explique principalement en raison du fait que le gouvernement d’Arabie Saoudite et l’Aramco (Arabian American Oil Company) s’étaient mis d’accord le mois précédent (décembre1950) pour partager en deux les bénéfices de l’industrie pétrolière. L’AIOC annonça donc au gouvernement qu’elle était prête à accepter un accord similaire au saoudien et à faire des paiements à hauteur de plusieurs millions de livres. Cependant, ces propositions arrivèrent trop tard, puisque le député Mohammad Mossadegh (1879-1967), homme politique populaire renommé et dirigeant du Front national(mouvement nationaliste composé d’une coalition d’organisations et d’individualités diverses, mais unies par des sentiments antibritanniques, qui incluait une partie de la hiérarchie religieuse conservatrice traditionnelle, dirigée par l’ayatollah chiite Kashani), avait déjà proposé au Parlement la nationalisation de l’industrie pétrolière, une proposition adoptée sous forme de loi en mars 1951.
Mossadegh, soutenu par le Front national, fut nommé Premier ministre de l’Iran en avril 1951. Il affronta immédiatement l’AIOC, le gouvernement britannique et celui des États-Unis qui qualifièrent d’unilatérale la décision de résilier le contrat soumis à l’arbitrage international. Ces derniers, en secret, redoutaient tous le haut risque de contagion que représentait cette décision pour les autres pays pétroliers du Moyen-Orient, où les entreprises britanniques et américaines détenaient des concessions similaires à celle en Iran(c’est-à-dire avec un monopole sur tout le territoire national ou sur une grande partie du pays octroyant la concession, à long terme, avec une redevance fixe, etc.).
Le Premier ministre Mossadegh soutint que la loi de nationalisation dépendait du droit souverain du peuple iranien et que cette question ne relevait pas de la compétence des organismes internationaux
Le gouvernement britannique et l’AIOC s’en remirent à la Cour internationale de justice (CIJ) basée à La Haye (Pays-Bas), pour que celle-ci oblige l’Iran à recourir à l’arbitrage ou la déclare coupable de violation du droit international. De plus, le gouvernement britannique décida d’exercer un boycott économique contre l’Iran et d’empêcher notamment l’achat de pétrole. En effet, l’AIOC menaçait d’intenter des actions en justice contre les raffineries et les entreprises de distribution qui s’approvisionneraient en Iran, afin de pousser le pays à accepter ses conditions. Le gouvernement iranien répondit en expulsant tous les techniciens britanniques de la raffinerie d’Abadan(au sud-ouest du pays) et en y envoyant l’armée. La CIJ statua qu’elle était incompétente pour instruire l’affaire, car le gouvernement britannique n’était pas lié au contrat signé entre la AIOC et le gouvernement de l’Iran.
Cela n’empêcha pas la production de pétrole iranien de s’effondrer, enregistrant une baisse de production de l’ordre de 31 millions de tonnes métriques en trois ans (passant de 32 millions en 1950 à 1 million en 1953). Dans le même temps, l’augmentation conjointe des productions du Koweït, de l’Irak, de l’Arabie Saoudite et du Qatar s’élevait à 64 millions de tonnes métriques, soit plus du double de ce qu’avait perdu l’Iran. L’AIOC augmenta non seulement sa production proportionnellement au droit de ses concessions en Irak, au Koweït et au Qatar, mais « ses sœurs », les six autres grandes entreprises pétrolières internationales (connues sous le nom de « sept sœurs »), augmentèrent toutes leurs productions, notamment en Arabie Saoudite. Au vu des éléments exposés, le boycott britannique portant sur l’achat de pétrole iranien fut très efficace.
Le boycott britannique entravait les exportations de pétrole iranien, ce qui eut des effets délétères sur la situation socio-économique du pays. Les devises vinrent à manquer pour payer des importations réduites. L’activité économique diminua, le chômage augmenta (l’AOIC employait 57 000 Iraniens en 1951), la dette publique augmenta, l’émission de monnaie ne fut plus proportionnelle à l’activité économique réelle, un phénomène d’inflation se développa, etc. Le gouvernement du Premier ministre Mossadegh se trouva pratiquement pieds et poings liés pour réaliser les promesses politiques de bénéfices économiques rapides qu’il avait promis à la population grâce à la nationalisation. Dans de telles circonstances, sans surprise, la popularité du Premier ministre ainsi que le soutien porté au Front nationalchutèrent.
3- L’« opération Ajax » et le coup d’État de 1953
Le 19 août 1953, Mossadegh fut renversé par un coup d’État orchestré, dirigé et exécuté par la CIA avec la complicité des services secrets britanniques (plus particulièrement la section 6 du renseignement militaire britannique externe aussi appelée MI6).
« Opération Ajax »(SpecialOperationTP AJAX ou simplement TP AJAX Project, de son nom de code anglais) fut le nom secret de l’opération orchestrée et dirigée par la CIA dans le but de renverser Mossadegh. « TP », les deux premières lettres du nom de code en anglais, se référaient à l’Iran dans le langage crypté de la CIA, et « Ajax » faisait allusion à la marque du produit détergent. Autrement dit, il s’agissait de « nettoyer » du pouvoir le Premier ministre iranien Mossadegh
Les Britanniques avaient initialement prévu d’envoyer l’armée en Iran, mais ils en furent dissuadés par les États-Unis qui pensaient qu’un tel projet pouvait déclencher un conflit majeur avec les Soviétiques qui seraient aussi intervenus militairement dans le pays. Par la suite, le Royaume-Uni exigea de l’Iran une indemnisation en contrepartie des actifs confisqués à l’AIOC, mais cette requête fut rejetée. Plus tard, ils soumirent plusieurs propositions, parfois aux côtés des États-Unis, pour parvenir à un nouvel accord qui comprenait à chaque fois, entre autres, le dédommagement et la reprise des relations commerciales pour l’achat et la revente de pétrole sur le marché international. Ils se heurtèrent cependant à chaque fois à l’opposition farouche du Premier ministreiranien. Ce dernier avait aussi présenté un ensemble de propositions visant à régler le conflit avec les Britanniques, que ces derniers rejetèrent également.
Selon les archives déclassifiées et rendues publiques, Mossadegh nourrissait l’espoir secret de voir les États-Unis l’aider à se libérer du joug britannique. Quelle ne fut pas là son erreur ! Il avait fait part à des fonctionnaires américains de sa conviction que la lutte de l’Iran pour se sortir de la zone d’influence britannique avait quelque chose de semblable à celle qui avait opposé les États-Unis et l’Empire britannique autrefois … Il avait d’ailleurs demandé une aide financière au président Eisenhower (1953-1961), mais celui-ci la lui avait refusée dans une lettre datée du 30 juin 1953 (un mois et demi avant le coup d’État) en ajoutant ceci : « J’espère sincèrement, avant qu’il ne soit trop tard, que le gouvernement de l’Iran prendra les mesures nécessaires pour éviter une dégradation encore plus importante de la situation ». À 10 h du soir la veille du coup d’État, Loy Henderson, ambassadeur américain en Iran (1951–1954), informa le département d’État (équivalent du ministèredes Affaires étrangères) que Mossadegh lui avait dit au cours d’une réunion tenue ce soir-là qu’il « désirait que les militaires et les forces de police envoyés par les États-Unis en Iran y demeurent, car il pensait que ceux-ci rendaient des services considérables […] ».
Les archives déclassifiées attestent qu’entre mars et avril1953, il se préparait plusieurs coups d’État contre Mossadegh ou du moins des tentatives de contrôle progressif de son gouvernement. À la tête de ces complots, on trouvait des chefs de différentes factions politiques iraniennes dont :
- L’Ayatollah chiite Kachani, allié du Front national et président du Parlement(août 1952-mars 1953) et rival de factodu Premier ministre, car il convoitait aussi la conduite du mouvement nationaliste, lequel devait selon lui mettre en place un « état islamique anti-occidental »
- Des députés du Parlement alliés avec des officiers des forces armées à la retraite
- Le parti communiste prosoviétique Tudeh, la force politique la plus inquiétante pour les États-Unis en pleine guerre froide.
Les archives déclassifiées indiquent aussi que précisément au même moment, l’opération Ajax commençait à s’orchestrer minutieusement après avoir reçu l’aval des États-Unis et du Royaume-Uni le 19 août 1953, dans le but de « nettoyer du pouvoir le Premier ministre Mossadegh ».
Cette opération de la CIA fut préparée et dirigée depuis Téhéran par Kermit Roosevelt, le chef de la Division consacrée au Proche-Orient et à l’Afrique, qui était aussi le chef de la Direction des plans. Ce fut la première d’une longue série, que ce dernier s’apprêtait à mettre en œuvre pour le compte de « l’Agence » afin de renverser certains gouvernements étrangers.
4- « Le shah est désormais notre homme… »
Avec le retour de la monarchie du shah Mohammad Reza Pahlavi (figure ci-dessous), qui avait d’abord fui en Irak puis en Italie, le gouvernement qui assuma le pouvoir, conseillé par des fonctionnaires américains, parvint rapidement à la conclusion que la meilleure solution pour relancer l’industrie pétrolière en Iran et l’ouvrir à nouveau au marché international serait d’accorder une nouvelle concession. En août 1953, voici ce que le chef de la CIA en Iran, John Willer déclara : « La solution à long terme (des problèmes économiques, financiers et d’instabilité politique en Iran) passe par une solution au problème du pétrole ». Cependant, la nouvelle concession ne pouvait plus être accordée exclusivement à l‘AOIC comme cela avait été le cas jusqu’à la nationalisation de 1951. Un consortiumde grandes entreprises internationales déjà présentes au Moyen-Orient et intégrant l’AIOC allait en prendre le contrôle.
Au mois d’octobre 1954, le gouvernement d’Iran et les représentants du consortium, appelé Iranian Oil Participants, composé de 8 des plus grandes entreprises pétrolières du monde (l’AIOC – qui prit ensuite le nom de British Petroleum puis de BP aujourd’hui –, Royal Dutch Shell, Standard Oilof New Jersey, Socony-Vacuum Oil Co, Standard Oil of California, Gulf Oil, Texaco et la Compagnie française des pétroles) signèrent un nouveau contrat, entériné par le Parlement et approuvé par le shah. Il fut entendu que les entreprises ayant reçu la concession, appelées « compagnies d’exploitation pétrolière », exerceraient les droits conférés par la National Iranian Oil Company (NIOC), compagnie pétrolière d’État créée en 1951. Des droits d’exploration, de production de pétrole et de gaz, de stockage, de transport et de vente à bord de navires pétroliers de ces deux ressources furent accordés à l’Iranian Oil Explorationand ProducingCompany, entreprise iranienne affiliée au consortium. Quant à l’Iranian Oil Refining Company, elle aussi affiliée au consortium, des droits de raffinage et de traitement du pétrole brut et du gaz naturel lui furent accordés. Une fois ces formalités accomplies, la NIOC payait à la compagnie d’exploitation 1 schilling par mètre cube (m3) de pétrolelivré ou raffiné, en plus des autres frais et dépenses.
À son tour, chaque entreprise de distribution de pétrole brut (souvent une filiale du consortium) payait à la NIOC le baril au prix du cours dans les ports iraniens d’exportation (« FOB posted price »). Le cours du pétrole incluait une taxe de 12,5 % et un impôt sur le revenu de 50 %. Cela se traduisait par une répartition égalitaire des bénéfices entre les entreprises et le gouvernement dans le cadre de l’accord qui les liait, sur un modèle analogue à l’accord passé avec l’Arabie Saoudite. La durée de la concession était de 25 ans, mais elle pouvait faire l’objet de trois reconductions de 5 ans chacune (jusqu’en 1994). La possibilité qu’intervienne l’arbitrage international pour résoudre les conflits était prévue. La NIOC gardait la main sur la formation théorique et pratique du personnel travaillant dans l’industrie pétrolière et s’occupait de fournir aux compagnies pétrolières le matériel et le personnel nécessaires. Elle se chargeait aussi de distribuer les produits dérivés du pétrole sur le marché intérieur
Le contrat qui régissait la concession, rédigé en anglais, demeura l’unique instrument de régulation des relations entre l’Iran et les entreprises étrangères. Il marqua la fin du monopole britannique en Iran et l’entrée pour la première fois d’entreprises américaines sur certains des gisements de pétrole les plus importants au monde.
Le soutien apporté par les États-Unis aushahd’Iran, vu par K. Roosevelt comme « notre homme » au cours d’une réunion de la CIA tenue à Washington huit jours après l’avoir remis au pouvoir, nourrit la rhétorique antiaméricaine des chefs religieux chiites qui menèrent la Révolution islamique de 1979 et qui gardent encore un souvenir amer du coup d’État de 1953. L’évocation du coup d’État par Ayatollah Ali Khamenei, leadeur religieux chiite de la République islamique d’Iran, dans un communiqué publié à l’occasion du 40e anniversaire de cette révolution (2019) en est une preuve. Ce fut l’occasion de rappeler que le coup d’État avait conduit à l’instauration depuis l’étranger du premier régime monarchique d’Iran et de souligner l’arrogance caractéristique des États-Unis, le plus grand ennemi de l’Iran. Face à cette arrogance, il présentait l’émergence d’une nouvelle dualité mondiale, polarisée entre « l’Islam et l’Arrogance états-unienne », qui, d’après lui, découlait de la Révolution de 1979 et de la chute de l’ex-URSS.
Cet article n‘a pas une fin reluisante pour le shah. Ce dernier fuit de son pays en janvier 1979, passa les derniers mois de sa vie à chercher un lieu de résidence : en Égypte, au Maroc, aux Bahamas, au Mexique, aux États-Unis, au Panama et à nouveau en Égypte où il finit par mourir l’année suivante
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