Analyse : L’Europe face au déclin du pétrole de schiste américain et à la stratégie de l’OPEP+

Rédaction (A.M)
2022-12-05T13:06:44+01:00
Hydrocarbures
Rédaction (A.M)5 décembre 2022
Analyse : L’Europe face au déclin du pétrole de schiste américain et à la stratégie de l’OPEP+
A. Madjid - F.Messaoudi

Au cours des vingt dernières années, les producteurs de pétrole de schiste américains sont passés du statut d’exploitants mineures à celui de multimillionnaires, propulsant les États-Unis au rang de premier producteur mondial, mais aujourd’hui, ils sont en position stagnante sinon de recul.
Les gains de production de pétrole de schiste ralentissent et les dirigeants de certaines des plus grandes entreprises mettent en garde contre de futurs déclins dus à des champs pétroliers surexploités et à des puits de moins en moins productifs.

L’Organisation des pays exportateurs de pétrole(OPEP et OPEP+) vient de se réunir le 3 et 4 Décembre 2022 pour décider s’il faut maintenir son niveau de production décidé le 05 Octobre 2022 avec une réduction de 2 millions de barils par jour, ou augmenter sa production, ne craignant plus que leurs décisions politiques puissent provoquer une poussée de la production de pétrole de schiste comme cela avait été le cas dans les années précédant la pandémie. La décision prise est tombée : maintien du plan de réduction de la production de 2 millions de barils par jour en Décembre 2022 et Janvier 2023. Cette décision était pressentie, mais ne semble avoir aucun impact haussier sur le prix du baril de Brent qui demeure autour des 85 dollars pour le moment, ce qui prouve que la stratégie de l’OPEP+ qui consiste à suivre les fondamentaux du marché et se prémunir contre une baisse brutale du baril fonctionne assez bien malgré les innombrables incertitudes externes au marché. Il ne reste plus qu’à suivre les impacts de l’embargo et le plafonnement du prix du baril à 60 dollars décidés par l’UE et le G7, qui irrite particulièrement les membres de l’OPEP+.

Il reste aussi à savoir maintenant comment va évoluer ou non la production américaine, première dans le monde, mais très dépendante de la part du pétrole de schiste, et vitale pour le pays qui est le premier producteur mais aussi le premier consommateur de pétrole au monde. La stagnation de la production de pétrole de schiste américain devrait signifier en principe que les consommateurs du monde entier risquent d’être confrontés à un hiver de hausse des prix du pétrole et du carburant. Le producteur visé par l’embargo et le plafonnement a menacé de son côté de bloquer les ventes de pétrole aux pays qui soutiennent un plafonnement des prix par le G7 et l’Union Européenne, tandis que les États-Unis réduisent progressivement les prélèvements sur les stocks stratégiques qui ont contribué à estomper, un cours instant, l’inflation énergétique. Malgré cela, le marché est en berne, parceque la demande l’est aussi comme le pense l’OPEP+, et en relation avec les craintes d’une récession générale qui ne fait plus aucun doute.

Les coûts de production du pétrole de schiste américain quant à eux montent en flèche et rien n’indique que les investisseurs dans ce secteur, peu enclins à investir dans l’expansion du forage en ce moment, changeront leurs exigences de rendement. Au cours d’une décennie de croissance stupéfiante, le pétrole deschiste a constamment défié les prévisions de production et l’opposition des écologistes, tandis que la technologie ouvrait de plus en plus de possibilités d’exploitation sur de nouveaux bassins de pétrole de schiste et révolutionnait l’industrie énergétique mondiale.

Il faut rappeler que le pétrole de schiste a donné tort aux opposants par le passé. Après que la guerre des prix de l’OPEP de 2014-2016 a mis des centaines de compagnies pétrolières en faillite, le schiste a innové avec des modes d’exploitation moins coûteux. Ses gains ultérieurs ont donné aux États-Unis en 2018 le titre de premier producteur mondial, une distinction qu’ils détiennent toujours.

Mais il semble qu’il n’y ait plus, ou du moins, pour le moment, pas de nouvelles technologies de transformation de l’industrie en préparation, ou d’économies de coûts qui pourraient changer la donne cette fois-ci. L’inflation a fait grimper les coûts jusqu’à 20 %, et les puits de moins en moins productifs limitent la capacité de l’industrie à produire davantage.
Les dépenses de recherche et d’ingénierie de la principale société pétrolière, SLB (Anciennement Schlumberger), ont chuté cette année à 2,3 % du chiffre d’affaires jusqu’en septembre, contre 2,4 % pour la même période de l’année précédente. Chez Helmerich & Payne, l’un des plus grands entrepreneurs de forage, son budget de R&D (Research and Development) n’augmentera en 2023 que de 1 million de dollars, par rapport aux 27 millions de dollars pour l’année 2022.
Les dépenses de l’industrie pour de nouveaux projets pétroliers « sont au mieux modestes et le niveau absolu d’investissement reste historiquement bas » ont déclaré la semaine dernière les analystes de la banque internationale « Morgan Stanley »,

UNE SITUATION VIREVOLTANTE

Ces dernières années, les investisseurs ont privilégié les dividendes et les rachats d’actions au détriment des gains de production, selon certains dirigeants. Cela a modifié la capacité des producteurs de pétrole de schiste à réagir aux pics des prix internationaux du pétrole, a déclaré « Bryan Sheffield », qui a vendu le producteur « Parsley Energy » et dirige maintenant un fonds d’investissement privé axé sur l’énergie. « Le schiste ne peut pas revenir pour devenir un producteur alternatif », a déclaré Sheffield, en raison de la réticence des investisseurs à financer la croissance. La demande de gains et les effondrements répétés des prix ont forcé les producteurs de pétrole et les sociétés de services à « réduire les projets scientifiques » qui ont alimenté les percées de la production passée grâce à de nouvelles technologies, a-t-il ajouté.

Le développement technologique qui a conduit à des innovations telles que la fracturation hydraulique en plusieurs étages « va ralentir et a déjà ralenti », a déclaré Richard Spears, vice-président du cabinet de recherche « Spears & Associates ». « Si vous voulez avancer jusqu’où vous pouvez forer et à quelle vitesse, cela devient maintenant un problème ».

L’industrie a également moins de temps pour retrouver son ancien leadership, a déclaré le PDG de Hess Corp, John Hess. Il estime que les producteurs ont environ une décennie de marge de manœuvre avant de s’éteindre. Le schiste n’est« plus aux commandes » depuis quel’OPEPa repris le contrôle du marché, a déclaré M. Hess.

lowring shale - energymagazinedz

Le gouvernement américain s’attend à ce que la production globale de pétrole atteigne un nouveau sommet l’année prochaine, mais il a réduit ses prévisions à plusieurs reprises cette année. Il a récemment réduit de 21% les perspectives de croissance de la production pour 2023, soit un gain d’environ 480 000 barils par jour (bpj), pour atteindre 12,31 millions de bpj. Cela pourrait signifier une croissance moindre par rapport au gain d’à peine 500 000 bpj cette année – ce qui est déjà bien loin des attentes élevées d’un gain d’environ 900 000 bpj au printemps. Le nombre d’appareils de forages en activité est certes en augmentation sur les différents bassins pétroliers US, et a atteint 784, dont 627 pour le pétrole en Novembre 2022. Mais cette tendance n’arrive pas à compenser la baisse de production des anciens puits, particulièrement pour le pétrole de schiste.

Oil crude - energymagazinedz

L’INFLUENCE DÉCLINANTE DU SCHISTE

Le déclin de l’influence du pétrole de schiste est évident dans le Dakota du Nord. Autrefois à l’avant-garde de l’industrie américaine du pétrole de schiste, la faible productivité des puits dans la région de Bakken et les pénuries de main-d’œuvre ont laissé le Dakota du Nord loin de ses jours de gloire.

Environ 4% de son inventaire de puits de pétrole de schiste restent des emplacements à haut rendement, ou de niveau 1, contre 9% au début de 2020, selon la société de technologie de production « Novi Labs », qui se concentre sur les rendements des puits de pétrole et de gaz.
Comme le nombre d’emplacements de forage de premier ordre diminue dans tous les champs de pétrole de schiste, les perspectives sont sombres. La production de pétrole de schiste décline rapidement après le pic initial au démarrage par rapport aux puits de pétrole conventionnel, chutant d’environ 50% après la première année.« C’est un peu le canari dans la mine de charbon ce qui va se passer dans les autres zones pétrolières non conventionnelles », a déclaré Ted Cross, directeur de la gestion des produits chez Novi Labs et ancien géologue dans une compagnie pétrolière, en faisant référence au bassin du Dakota du Nord.

Le bassin permien de l’ouest du Texas et du Nouveau-Mexique, le plus grand et le plus important des bassins pétroliers américains, est le seul bassin de pétrole de schiste américain à dépasser ses niveaux de production de pétrole d’avant la pandémie de COVID-19, selon les données de l’Energy Information Administration(EIA) américaine.

« Il y a un tas de causes sous-jacentes, mais le sable de fracturation est tellement cher maintenant, les marchés du travail serrés rendent la logistique du dernier kilomètre difficile, et les producteurs publics sont généralement plus disposés à manquer sur la production que sur les investissements », a déclaré Matt Hagerty, un analyste principal pour FactSet’s BTU Analytics.

Les taux de production initiale d’un nouveau puits dans la section du bassin Central Midland du Permian s’élèvent en moyenne à environ 790 barils par jour de pétrole, selon le chercheur BTU, en baisse par rapport aux 830 bpj d’il y a seulement six mois. Ses prévisions pour la production initiale dans un autre champ de pétrole de schiste, l’Eagle Ford oriental, sont en baisse à 778 bpj contre 828 bpj.

PÉNURIES DE MAIN-D’ŒUVRE PERSISTANTES ET PLAN CLIMAT DE BIDEN

« Nous allons aborder 2023 avec une grave pénurie de main-d’œuvre », a déclaré Lynn Helms, directeur du département des ressources minérales du Dakota du Nord. L’État du Nord a toujours eu du mal à attirer des travailleurs, et le marché du travail tendu a aggravé le problème.
Attirer des travailleurs pour les équipes nécessaires à l’exploitation des parcs de fracturation et des appareils de forage s’est avéré très difficile, a déclaré Mme Helms, ajoutant que davantage d’appareils de forage ont été déplacés vers le sud, dans la région permienne.
Le nombre de travailleurs dans l’extraction de pétrole et de gaz dans le Dakota du Nord a diminué de 12% entre 2019 et 2021, selon les données annuelles les plus récentes du Bureau of Labor Statistics, comparé à la baisse de 9,6% au Nouveau-Mexique.
La baisse des taux de production est « une perspective à plus long terme », a déclaré Mike Oestmann, directeur général du producteur de pétrole de schiste « Tall City Exploration ». D’autres problèmes pèsent sur les gains potentiels du pétrole de schiste : « le manque de clarté de la réglementation et le désir du gouvernement américain de se détourner des combustibles fossiles », a-t-il ajouté.

Par ailleurs, le « vaste plan d’investissement climat de 370 milliards de dollars » promulgué par le Président américain Joe Biden, pour lutter contre le changement climatique à travers des incitations à l’usage des énergies renouvelables, et par conséquent des investissements massifs dans le secteur renouvelable, contribuera très probablement à ralentir les investissements dans les énergies fossiles. Les premiers signes de cette tendance apparaissent déjà avec les « crédits d’impôts allant jusqu’à 7 500 dollars pour l’achat d’une voiture électrique » pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % à l’horizon 2030. De son côté, le président du groupe de défense de l’environnement Sierra Club, Ramon Cruz a déclaré que

« Les futures générations se souviendront de ce jour comme de celui où la tendance s’est inversée contre le secteur des industries fossiles, en faveur d’un avenir plus sain, plus propre et plus équitable pour tous, dans tout le pays ».

Les producteurs étant déterminés à consacrer des ressources limitées aux meilleures perspectives de forage, « ne pourrons pas maintenir ce rythme éternellement », a déclaré Kaes Van’t Hof, directeur financier de « Diamondback Energy », lors d’une récente conférence téléphonique avec un journaliste du groupe « Reuters » sur les résultats.

Tout indique que la production pétrolière, qu’elle soit conventionnelle ou non conventionnelle, aussi bien aux Etats unis qu’au niveau des autres régions productrices dans le monde pourrait ne plus bénéficier à terme d’une reprise importante des investissements d’exploration et d’exploitation des énergies fossiles. Le marché demeurera encore volatile à cause des incertitudes liées au risque de récession mondiale, et aux positions autour des conflits et des alliances géopolitiques dont on ne connait pas encore les finalités précises, mais il sera dominé à terme par la stratégie de production de l’OPEP+ dont les 23 membres contrôlent parfaitement 42% de la production pétrolière mondiale.         

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