Après trois fuites qui ont endommagé les gazoducs Nord Stream 1 et 2, l’Europe dénonce des « actes délibérés » et met en garde contre les attaques ciblant ses infrastructures énergétiques.
Un « acte de sabotage » qui ne restera pas sans conséquence. L’Union européenne promet ce mercredi 28 septembre la « réponse la plus ferme possible » après les fuites inexpliquées des gazoducs « Nord Stream » reliant la Russie à l’Allemagne en mer Baltique.
Les trois grandes fuites au large de l’île danoise de Bornholm, entre le sud de la Suède et la Pologne, sont visibles à la surface. Les bouillonnements vont de 200 mètres jusqu’à 1 kilomètre de diamètre, a annoncé mardi l’armée danoise comme le montre l’image de ce même article.
Alors qu’aucune piste sur les causes de ces fuites de gaz n’existe en ce moment, le conseiller de la présidence ukrainienne, « Mykhaïlo Podoliak » a affirmé sur Twitter que « La fuite de gaz à grande échelle de Nord Stream 1 n’est rien de plus qu’une attaque terroriste planifiée par la Russie et un acte d’agression contre l’Union européenne »,et que « La Russie veut déstabiliser la situation économique en Europe et causer une panique juste avant l’hiver ».
La Première ministre danoise « Mette Frederiksen » a aussi jugé que les trois fuites étaient dues à « des actes délibérés », et qu’elles devraient durer au moins une semaine jusqu’à épuisement du méthane qui s’échappe des conduites sous-marines, a fait savoir le ministre danois de l’Energie et du Climat lors d’une conférence de presse du gouvernement.
« Les fuites de gazoducs sont extrêmement rares et nous voyons donc une raison d’augmenter le niveau de vigilance à la suite des incidents auxquels nous avons assisté au cours des dernières 24 heures », a expliqué le directeur de l’Agence danoise de l’énergie, « Kristoffer Böttzauw ».
Des « émissions massives » captées
« Nos partenaires européens mènent l’enquête. Nous sommes prêts à soutenir leurs efforts », a de son côté déclaré un porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche. Refusant de « spéculer » sur les causes de ces fuites sur une infrastructure cruciale pour la livraison de gaz russe, ce porte-parole a ajouté : « Cela illustre l’importance de nos efforts conjoints pour trouver des approvisionnements de gaz alternatifs pour l’Europe ».
Selon l’institut sismique suédois, deux explosions sous-marines ont été enregistrées peu avant les fuites. Une première « émission massive d’énergie » d’une magnitude de 1,9 a été enregistrée dans la nuit de dimanche à lundi à 2h03 au sud-est de l’île danoise de Bornholm puis une autre de magnitude 2,3 à 19h04 lundi soir au nord-est de l’île, a expliqué à l’AFP« Peter Schmidt », du Réseau national sismique suédoise.
Des « conséquences dramatiques » pour le réchauffement climatique
« Nord Stream 2 » a subi une forte chute de pression lundi, suivi quelques heures plus tard de « Nord Stream 1 », dont il suit le tracé sous la mer Baltique. D’après Copenhague, les fuites devraient durer « au moins une semaine », jusqu’à ce que tout le gaz soit sorti des deux ouvrages. Alors que le gaz se déverse au cœur de la mer, la question des répercussions sur l’environnement est cruciale. Pour les mesurer, il faut d’abord « estimer la quantité de gaz qu’il restait dans les gazoducs, ce qui est difficile », souligne « François Gemenne », spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement, qui ajoute toutefois que « les images montrent qu’il restait beaucoup de gaz ».
Sur la faune et la flore environnante, les effets devraient rester limités. Mais « c’est assez catastrophique pour le climat », affirme le directeur de l’ « Observatoire Hugo » dédié aux migrations environnementales à l’Université de Liège, rappelant que « le méthane est un gaz toxique pour l’environnement vingt fois plus puissant que le dioxyde de carbone ». Or, ces gros tuyaux plongés dans la mer Baltique renferment du gaz naturel, à 90% composé de méthane, donc ces rejets vont participer au réchauffement de notre planète. « Nord Stream 2 », le gazoduc sous-marin qui devait relier l’Allemagne à la Russie, n’a jamais été mis en fonctionnement à cause du conflit Russo-Ukrainien. « A priori, Nord Stream 2 a plutôt des fuites d’azote, ce qui est moins dangereux pour le climat que le méthane mais on ne connaît pas les conséquences sur l’océan », déclare « François Gemenne ».
La directrice du réseau national sismique suédois, « Anne StrømmenLycke », a déclaré « C’est une explosion d’importance. Il est tentant de penser que c’était le fait de quelqu’un qui savait ce qu’il faisait ». De son côté, l’expert de ce même réseau sismique suédois « Peter Schmidt » a souligné « Avec des émissions d’énergie aussi importantes, il n’y a pas grand-chose d’autre qu’une explosion qui peut l’avoir provoqué ».
Quid de l’impact environnemental ? Les fuites vont libérer « plusieurs millions de tonnes d’équivalent CO2 » dans l’atmosphère, affirme à l’AFP« Sasha Müller-Kraenner », de l’ONG environnementale allemande DUH. Or, le gaz libéré, du méthane, générera des « conséquences dramatiques » en matière de réchauffement climatique, a-t-il ajouté.
Tant que les fuites ne sont pas réparées, il existe des risques d’explosion à la surface de l’eau : les autorités ont pour cette raison pris des interdictions de naviguer et de voler dans les zones concernées. Pour la faune et la flore maritimes, en revanche, les conséquences sont limitées. « Le méthane ne se dissout pas non plus dans l’eau, il n’y a donc heureusement rien à craindre », affirme à l’AFP le Ministère de l’Environnement danois.
La récession en marche :
Sur le front de l’énergie, l’Europe devrait tenir le choc. Economiquement, en revanche, elle est à l’aube d’une récession. Les prochaines années s’annoncent particulièrement brutales pour l’Union Européenne qui récupère à peine de la pandémie de Covid-19 qui avait déjà plongé le continent dans la récession. L’inflation risque de continuer à gonfler, fragilisant entreprises et ménages. « C’est le double choc avec la pandémie suivie du conflit Russo-Ukrainien », souligne « Agathe Demarais » qui prédit « deux à trois ans de douleur économique ».
Le prix des matières premières a beaucoup augmenté tout comme les factures d’électricité et « des entreprises, notamment des fonderies, ont déjà fermé ». « L’EconomistIntelligence Unit », qu’elle dirige, prévoit une récession pour la France de 0,3 %. L’Hexagone n’est toutefois pas en aussi mauvaise posture que ses voisins qui affichent des prévisions de croissance de -1 % pour l’Allemagne, -1,3 % pour l’Italie et -0,9 % pour le Royaume-Uni. Paris reste mieux loti côté inflation, notamment grâce à sa plus faible dépendance aux énergies russes. La France affiche la plus faible augmentation des prix de la zone Euro d’ailleurs.
Une « menace à l’encontre de l’Union européenne »
Plus qu’une volonté de nuire au marché énergétique ou même économique de l’Union européenne, ce sabotage (S’il s’avère réellement être un sabotage) pourrait en réalité faire office d’avertissement. Les explosions ont nécessité plus de 100 kg d’explosifs d’après des experts suédois. La Russie est pointée du doigt mais n’a actuellement fait aucune déclaration. Pourtant, le timing interroge. Ce mardi, la Pologne a inauguré un nouveau gazoduc avec la Norvège. « Baltic Pipe » transportera 10 milliards de M3 de gaz chaque année en Pologne, permettant à l’UE de s’éloigner un peu plus de sa dépendance énergétique à la Russie.
Pour « Agathe Demarais », il s’agit d’une « menace à l’encontre de l’Union Européenne : « On n’hésitera pas à s’en prendre à vos infrastructures ». D’autant que ce nouveau pipeline n’est pas la seule cible qui se niche au cœur de la mer Baltique que plusieurs pays de l’UE partagent avec la Russie. Les câbles de télécommunication sont aussi sous-marins et s’ils venaient à être coupés, ça serait « le chaos » en Europe, souligne « Agathe Demarais », qui remarque une « extension du champ de la guerre ». Entre l’annonce de la mobilisation partielle, les menaces nucléaires, les référendums dans les régions en conflit de l’Ukraine et cet incident, « on a une succession de signaux très inquiétants » note-t-elle. « Poutine a subi des défaites en Ukraine mais au lieu de rétropédaler il se dirige vers l’escalade. » toujours selon « Aghate Demarais ».
Le coupable ? L’heure est aux accusations :
Toutefois il faut savoir que si cet incident s’avère réellement être un sabotage, il s’agirait d’une opération très complexe à mettre en œuvre qui demande des capacités que seuls quelques pays en disposent. Les États-Unis et la Russie font partie de cette short-liste
Quand certains voient la main de la Russie dans ce sabotage [présumé] des deux gazoducs. « Nous voyons clairement que c’est un acte de sabotage, qui marque probablement la prochaine étape de l’escalade de la situation en Ukraine », a en effet commenté « Mateusz Morawiecki », le Premier ministre polonais. D’autres répliquent diplomatiquement et de manière rationnelle « Il était assez prévisible que certains mettent la Russie en cause. Prévisible, stupide et absurde », a répliqué « Dmitri Peskov », le porte-parole du Kremlin. Ces fuites sont « problématiques pour nous, car les deux tubes sont remplis de gaz [russe] prêt à être pompé, et ce gaz coûte très cher. Maintenant, ce gaz est en train de s’échapper », a-t-il fait valoir. Et d’ajouter : « On voit la réaction hystérique des Polonais [et] les énormes bénéfices réalisés par les fournisseurs américains de gaz naturel liquéfié, qui ont multiplié leurs approvisionnements sur le continent européen ». Mais il faut noter que la diplomatie russe n’y va pas de main morte et est allée encore plus loin en accusant les États-Unis. Rappelant les propos tenus par « Joe Biden »[« Si la Russie envahit l’Ukraine, alors il n’y aura plus de Nord Stream 2 »], il a estimé que le président américain « devait répondre à la question de savoir si les États-Unis ont mis à exécution leur menace ». Et d’insister : « L’Europe doit connaître la vérité ».
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=1960