Messaoudi Fakhreddine
En mai 2022 la « Global Gas Flaring Tracker »,indicateur mondial indépendant de premier plan sur le torchage de gaz, révèle que les réductions de volumes absolus de torchage et de l’intensité du torchage ont stagné au cours de la dernière décennie malgré les bons progrès au début.
Cette situation s’explique par le fait qu’il existe des contraintes économiques et des contraintes de marché, mais aussi un manque de volonté politique et de réglementation qui font que le torchage demeure une pratique courante dans de nombreux pays producteurs d’hydrocarbures.
Tout d’abord, qu’est-ce que le torchage et qui est ce qui le pratique ?
Le torchage ou « brûlage des gaz » est l’action de brûler, par des torchères, des rejets de gaz fossile, qui n’est autre que du méthane, à différentes étapes de l’exploitation du pétrole et du gaz naturel. Les professionnels emploient fréquemment l’anglicisme « flaring ». Par extension on parle aussi de torchère pour nommer une installation de destruction de gaz combustibles pollués ou de ratés de fabrication dans certaines usines utilisant cette forme de décomposition thermique pour détruire par exemple certains gaz odorants. En d’autres termes le torchage est une combustion contrôlée d’un combustible ou d’un gaz rejeté, appelé souvent gaz fatal, dans le cadre des opérations de routine de production et de traitement de pétrole. Les combustibles ou gaz rejetés sont brulés en haut de la torche, produisant une flamme caractéristique du torchage. Certaines odeurs peuvent aussi s’émaner de la torche.
Il existe un classement des pays qui pratiquent le torchage de manière quasi-quotidienne et qui font l’objet de critique par la communauté internationale et même par certains pays producteurs de pétrole également et ce pour plusieurs raisons. La première étant que le gaz brûlé dans les torchères est considéré comme du gaspillage mais aussi du fait que ces torchères émettent, par effet de combustion, énormément d’émission de CO2. On parle d’environ 400 millions de tonnes d’équivalent carbone (eqCO2) dont 361 millions sous forme de CO2 et 39millions sous forme de méthane.
En 2021 les chiffres font état de 144 milliards de M3 de gaz perdu dans les torchères de par le monde.
Le classement de ses pays pratiquant le torchage est comme suit :
Pourquoi « torcher » du gaz ?
Afin d’y voir plus clair mieux vaut se pencher vers la technicité de cette problématique. Pour faire simple, l’extraction de pétrole est un processus qui permet de soutirer le pétrole des profondeurs de la terre, lequel parvient habituellement à la surface, accompagné d’eau et de gaz, dénommé « gaz associé ». C’est ce qu’on appelle habituellement le « G.O.R » (Gas Oil Ration) qui correspond au pourcentage volumétrique de gaz dans le pétrole qui est variable d’un gisement à un autre surtout en fonction de la nature et de la densité du pétrole. Pour ne pas stocker le pétrole mélangé à du gaz, par risque d’explosion, on sépare les trois composants dans des centres de séparation où sont branchés les puits producteurs. L’eau est généralement traitée ou non puis rejetée en surface. Le gaz est « séparé » du pétrole, est soit collecté puis réinjecté dans le gisement, soit consommé pour les besoins énergétiques locaux, soit expédié en gaz de vente quand un réseau de transport dédié existe, ou alors est simplement « torché » (gaz fatal) en d’autres termes, brulé sur place d’où la flamme aperçue sortant des torchères installées sur la plupart des exploitations pétrolières.
Pourquoi ne pas exploiter ce gaz alors ?
La question est bien plus complexe, le « flaring » c’est-à-dire « torchage » en anglais, se pratique principalement par faute d’infrastructures de traitement, de collecte et de transport par gazoduc, qui permettraient son acheminement ou sa commercialisation. Ces infrastructures nécessitent des investissements dont la rentabilité n’est pas assurée si les volumes de « gaz associé » sont faibles, ou encore si les zone d’exploitation sont éloignées par rapport aux infrastructures existantes.
Si le « flaring » est controversé, il y a aussi ce que l’on appelle le « venting » c’est-à-dire le rejet du « gaz associé » dans l’atmosphère, une des solutions les plus dangereuses, car on remet directement dans l’atmosphère du « méthane », gaz à effet de serre au potentiel de réchauffement très supérieur à celui du CO2 produit par le torchage.
Quelles sont les solutions et à quoi servirait de réduire voir même arrêter le torchage ?
Le torchage est une pratique qui non seulement constitue une problématique environnementale sensible mais aussi parce que le gaz brûlé est considéré comme une perte ou du gaspillage.
Il existe des solutions jusqu’à l’heure qui sont proposées par les institutions internationales mais aussi par la communauté scientifique, il existe 2 solutions concrète et possible en terme de faisabilité, à défaut de pouvoir commercialiser le « gaz associé » :
- Le gaz peut être réinjecté dans le gisement de pétrole afin d’y renforcer la pression et améliorer le taux de récupération. Cette opération peut toutefois être techniquement compliquée (risque de corrosion des canalisations) mais demeure une bonne solution quand même.
- Le gaz peut être utilisé pour actionner une turbine électrique et satisfaire une partie des besoins énergétiques du site de production. Là aussi il s’agit d’une opération compliquée mais qui s’avère être utile si l’on considère que l’Algérie par exemple torche pas moins de 4 milliards de m3 de gaz selon les chiffres officiels (et 8,16 Milliards de m3 selon la « Banque Mondiale »).
En 2015 la « Banque Mondiale » a lancé une initiative en collaboration avec plusieurs gouvernements et groupes pétroliers. Cette initiative dénommé « Zero Routing Flaring by 2030 » vise à mettre fin d’ici 2030 aux opérations régulières de torchage de gaz sur les champs pétroliers.
Il faut savoir que le torchage est un dilemme qui manifestement ne semble pas inquiéter beaucoup de pays qui continuent de « torcher » sans se préoccuper des conséquences. Les réductions spectaculaires obtenues dans certains pays n’ont pas permis de compenser les augmentations alarmantes enregistrées dans d’autres comme témoigne ce graphe ci-dessous :
Durant les 10 dernières années la tendance reste en hausse dans les courbes des 10 principaux pays émetteurs de gaz torchés
Qu’en dit la règlementation ?
Au Canada :
En 2016, le gouvernement du Canada s’est engagé à réduire les émissions nationales de méthane de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2012 d’ici 2025 dans le secteur du pétrole et du gaz. Un certain nombre de mesures fédérales et provinciales ont été prises à l’appui de cet objectif, notamment la publication de règlements fédéraux en vertu de la « Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) [LCPE] », des programmes d’investissement fédéraux comme le « Fonds de réduction des émissions » et une série de règlements provinciaux. Des accords d’équivalence ont été conclus entre le gouvernement du Canada et les gouvernements de la Colombie–Britannique, de l’Alberta et du Saskatchewan afin de permettre des approches régionales adaptées à l’atténuation du méthane dans leurs secteurs pétrolier et gazier respectifs, tout en assurant des résultats environnementaux équivalents.
À l’automne 2020, le gouvernement du Canada a lancé le « Fonds de réduction des émissions (FRE) de 750 millions de dollars » afin d’aider les sociétés pétrolières et gazières terrestres et extracôtières à réduire les émissions de méthane et d’autres gaz à effet de serre.
En Algérie :
Que prévoit la loi ? Il existe un cadre juridique en Algérie concernant le « torchage ».
Ainsi, le torchage du gaz est prohibé ou règlementé par toutes les lois pétrolières qui se sont succédées depuis 1986, car considéré comme un gaspillage d’une ressource naturelle préciseuse, et un polluant environnemental, sous forme d’émission de dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre (GES)
Le torchage ou la mise à l’évent du gaz naturel sont régis par un cadre juridique, règlementaire et fiscal, spécifiques, dont nous pouvons citer ci-dessous les dispositions de la nouvelle loi sur les hydrocarbures N°19-13 du 11 Décembre 2019, qui reprend et complète toutes les dispositions antérieures des anciennes lois.
Le problème de récupération des gaz torchés a de tout temps constitué une préoccupation importante au sein de SONATRACH, surtout au niveau des grands champs de pétrole et de gaz, comme celui de « Hassi Messaoud » par exemple où le moindre arrêt d’une station de réinjection de gaz est susceptible d’aboutir à la perte de 10 millions M3/jour qui seront torchés.
C’est ce qui a amené SONTRACH à mettre en œuvre un important programme destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre à travers le torchage de méthane au niveau de ses infrastructures, dans l’objectif d’atteindre entre 0 et 1% maximum d’émissions à l’horizon 2030.
Parmi toutes les actions entreprises par SONTRACH pour réduire le torchage de gaz, il faut rappeler que plusieurs études ont été réalisées par le cabinet Degolyer Mac Naughton et Core Laboratories depuis les années 90 surtout, sur plusieurs gisements dont :
– Edjeleh : Clôture le gaz lift d’Edjeleh et boosting du gaz résiduel vers Zarzaitine.
– Stah et Mereksen : Récupération du gaz associé et boosting vers l’usine de traitement d‘Alrar, avec récupération de condensat et de GPL.
– Tin Fouye Tabankort et Tin fouye : clôture du gaz lift, traitement au niveau de l’usine de TFT et expédition du gaz résiduel vers le gazoduc de transport.
– Rhorde Nouss : récupération des gaz associés à la production de pétrole et traitement au niveau de l’usine de traitement de gaz de Rhourde Nouss.
– Hassi Messaoud : récupération du gaz au niveau des centres CIS et CI N, et récupération de GPL.
– Haoudh Berkaoui et Guellala : récupération des gaz associés.
– Ait kheir et Oued Noumer : récupération des gaz associés.
– Hassi Rmel : récupération des gaz associés de l’anneau d’huile.
C’est ainsi que dès 2016, Sonatrach avait déjà réduit le taux de torchage à hauteur de 60% par rapport aux années 1980. Cette réduction a permis la récupération d’environ 4 milliards M3 de gaz qui sont venus augmenter le volume destiné à la vente à cette date (2016)
En somme, le « gaz torché » est une contrainte technique qui nécessite des infrastructures adaptées mais des infrastructures qui peuvent s’avérer faible en matière de rentabilité ce qui pousse les géants pétroliers à adopter ce processus. Beaucoup estime qu’on peut remédier au torchage, il existe bel et bien des solutions mais les gouvernements peinent à se pencher sérieusement sur la question. Des initiatives sont prises de part et d’autre mais « concrètement » la question demeure délicate à évoquer et nécessite une phase de sensibilisation à l’échelle mondiale. Des pays ont réussi à amoindrir leur gaz torché mais cela reste relativement faible par rapport aux mastodontes qui occupent les 5 premières places du classement des pays émetteurs de gaz torché.
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=1615