Quelles sont les motivations réelles derrière la course au dessalement de l’eau de mer observée dans la région MENA ? Est-elle motivée par un besoin de renforcement de la disponibilité en eau face à la vulnérabilité au climat, ou par l’expression d’un leadership hydrique ?
Karl Wittfogel, sociologue allemand, a développé un concept de «Sociétés hydrauliques 1957» pour énoncer l’émergence des civilisations fondées sur la peur de la vulnérabilité au climat, qui contraindrait les hommes à accepter l’autorité de ceux qui sont capables techniquement de maitriser les fleuves, de canaliser les eaux, d’irriguer et donc de nourrir la population.
Le contraste est frappant dans la région MENA, une région riche en or noir, au cœur de la guerre de ressources, mais pauvre en or bleu, l’enjeu majeur du 21ème siècle, qui fait son entrée fracassante, dans les questions de guerre et de paix dans les relations internationales. L’hydro politique, l’hydro diplomatie, l’hydro hégémonie, de nouveaux éléments de langages qui marqueront, désormais, le nouvel ordre mondial.
En effet, la vulnérabilité au climat fragilise la sécurité hydrique des pays de la région, et fait naitre le sentiment de peur de l’incapacité de satisfaire les besoins de la population et du développement face à la rareté de l’eau. Le changement climatique qui continue à agir sur le cycle de l’eau, engendre des sécheresses cycliques et des inondations fréquentielles, phénomènes fortement impactant, tant que pour garantir la sécurité hydrique qu’alimentaire. Les eaux de surface sont les premières à être impactées, du fait de la hausse de la température et la baisse de la pluviométrie, suivies des eaux souterraines, qui sont doublement impactées, d’une part, par leur surexploitation eu égard à leur forte sollicitation pour combler le déficit enregistré en eaux de surface, et d’autre part, par la difficulté de leur renouvellement en raison du manque de précipitations.
Face à cette situation, les stratégies de mobilisation et de diversification de ressources hydriques, visant à augmenter la disponibilité de l’eau, ne sont plus adaptées au contexte de rareté. La baisse de l’apport des eaux superficielles, la surexploitation des eaux souterraines, la pression sur les grands transferts d’eau, limitent la marge de manœuvre des pays en situation de stress hydrique, et positionne les eaux non conventionnelles, le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées épurées, à la tête des alternatives offertes pour garantir la sécurité hydrique des pays de la région. Le dessalement de l’eau de mer est donc une alternative qui ne dépend pas du climat, et offre la possibilité aux gouvernements de garantir leur sécurité hydrique.
Toutefois, la dépendance est d’ordres technologique et aux ressources – financière et énergétique -, constituant des éléments de fragilité, à prendre en compte dans les stratégies de sécurité hydrique à élaborer dans le futur, selon une vision prospective. La cartographie des usines de dessalement dans la région démontre le recours intensif au dessalement de l’eau de mer à grande échelle, dans les pays du CCG (Conseil de Coopération du Golfe), en Algérie, et en phase d’extension en Iran où la disponibilité de ressources permettra de sécuriser l’approvisionnement en eau potable. La région englobe donc, plusieurs pays qui possèdent de vastes réserves de pétrole et de gaz, dont huit des douze pays sont membres de l’OPEP dont l’Arabie Saoudite, le premier producteur mondial de l’eau dessalée et l’Algérie, le premier producteur de l’eau dessalée en Afrique du Nord, qui ont développé d’ambitieux programmes à grande échelle. A l’inverse, d’autres, à l’image du Maroc, de la Tunisie, de la Jordanie, qui sont dépourvus en ressources trouvent des difficultés à lancer des projets dans le dessalement de l’eau de mer à grande échelle, et à en achever d’autres à moyenne échelle, fragilisant leur sécurité hydrique, déjà aggravée par le changement climatique.
Dans cette vaste région marquée par le stress hydrique, le dessalement à grande échelle est dominé par la technologie membranaire dans un marché en plein essor. Sur le plan technologique, deux procédés de dessalement de l’eau de mer sont largement répandus dans le monde, il s’agit du dessalement thermique qui utilise la chaleur pour vaporiser l’eau douce et le dessalement membranaire, un procédé, où l’eau douce est extraite de l’eau salée à travers une membrane. Le recours à l’approche hybride, est en phase d’expansion, à l’effet de mieux optimiser l’usage de l’énergie eu égard au caractère énergivore des usines de dessalement.
La maitrise des technologies de l’eau est vitale, sachant que ceux qui maitrisent ces dernières, maitrisent l’eau. Les avancées technologiques dans le domaine de dessalement sont notables et qui intègrent de nouvelles technologies de la quatrième révolution industrielle, permettant de proposer une offre diversifiée plus adaptée à la fois, au contexte de rareté et à l’optimisation de ressources. Ces innovations de dernière génération, touchent aussi bien le process que la taille de l’usine, les équipements, les systèmes et les sources d’approvisionnement en énergie. Les usines de dessalement connaissent ces quatre dernières années une évolution sans précédent, dans leur design, dans leur mode de pilotage, dans leur taille, dans leur mobilité et dans leur flexibilité. L’usine de dessalement d’eau de mer flottante, flexible et mobile, permet l’approvisionnement de la population tout au long des villes côtières et apporte, entre autres, une réponse adaptée à la problématique du foncier, que rencontrent certains pays, où la construction d’usine de dessalement fixe n’est plus possible dans des zones fortement urbanisées. De même, l’avènement des usines conteneurisées offrent la possibilité de satisfaire une demande particulière en eau, dans un délai court, sur un site isolé dépourvu en eau, et traiter notamment les eaux saumâtres, à l’exemple de l’approvisionnement en eau des secteurs touristiques et miniers, ce qui permettra de réaffecter les eaux conventionnelles à d’autres usages et éviter des situations de conflits d’usages de l’eau entre plusieurs secteurs. L’innovation a touché également le domaine de l’énergie, où le recours à l’hybridation, permet l’optimisation de son usage et par ricochet maitriser les coûts de l’exploitation. Sans omettre, l’innovation dans les systèmes hydrauliques, grâce aux recours à la construction de grands réservoirs de stockage pour, à la fois maitriser l’énergie et garantir une certaine autonomie qui permettra en temps de paix et en temps de guerre, de garantir l’approvisionnement durable des populations en eau potable.
L’eau et l’énergie, sont deux ressources stratégiques indispensables et rares qui ne cessent d’occuper les priorités stratégiques pour s’associer aux questions de la sécurité globale. La guerre de ressources se trouve désormais, à la tête de nouvelles formes de guerres, dans un monde en pleine mutation. Nourrir la population et garantir leur accès aux besoins essentiels en eau et en énergie, procurent aux Etats de nouveaux pouvoirs, dénotant leur capacité d’assurer leur sécurité alimentaire et hydrique. Un sujet qui prend de plus en plus de place dans les sphères de réflexion des centres des études stratégiques, aux USA, en Grande Bretagne, où la question de sécurité hydrique est inscrite prioritairement dans leur politique étrangère. Ainsi, l’eau demeure au cœur des questions de paix et de guerre, comme étant un enjeu de rivalité entre puissances (Egypte, construction de barrage d’Assouan), un élément de guerre (la guerre arabo-israélienne de six jours 1967), une cible militaire ( barrages – Syrie, Irak dans un contexte de guerre), un outil de chantage politique et/ou de riposte (Turquie-Irak lors de la première guerre du Golfe et également le cas de l’Irak/Koweït, une marée provoquée par l’Irak, mettant à l’arrêt l’usine de dessalement au Koweït ).
Seulement, dans le monde du 21ème siècle, les enjeux géopolitiques liés à l’eau prennent de nouvelles formes pour inclure la maitrise des technologies de l’eau, notamment celles liées au dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées épurées, à l’effet de garantir à la fois, la sécurité alimentaire et la sécurité hydrique. Cette maitrise procure aux pays une position de puissance hydrique.
Il va sans dire que la guerre de « ressources », engage une nouvelle manière d’approcher « les ressources ». L’optimisation de l’usage de ressources, en abandonnant les schémas classiques linéaires pour emprunter de nouveaux schémas dans une logique de « DURABILITE », s’avère vitale, dans le sens où les modes de consommation, de production et de la gouvernance, sont des questions fondamentales que la gouvernance durable de l’eau devra traiter dans une vision prospective. Il est de même vital d’engager un grand débat national qui implique toutes les parties prenantes, donnant de nouvelles perspectives à la nature de l’eau, comme un bien commun où sa préservation relève de l’intérêt général. De ce fait, le dessalement de l’eau de mer est une alternative nécessaire dans un contexte marqué par la rareté, mais elle ne pourra pas désormais, se substituer à une gouvernance durable de l’eau, face à une stratégie de sécurisation de l’offre qui connait déjà ses limites, et qui impose un nouveau paradigme de l’eau.
La course au dessalement de l’eau de mer que nous observons aujourd’hui dans la région, démontre également les difficultés que trouvent certains pays, pour accéder aux ressources et donc de garantir leur sécurité nationale. La course au dessalement de l’eau de mer que nous observons aujourd’hui, dans un monde en plein mutation, nous pousse à mobiliser notre intelligence collective à l’effet de construire un modèle intégré de gouvernance des ressources, à même d’imaginer, notre propre usine de dessalement du futur, que la révolution de capital humain algérien, imposera dans le nouvel ordre mondial.
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=1454