En date du 08 Mars 2022, la Commission Européenne a publié un plan destiné à réduire les importations d’hydrocarbures russes avant 2030. Ce plan prévoit dans l’urgence la réduction de 101,5 Mds M3 d’ici la fin de 2022, puis 55 Mds M3 à court ou moyen terme.
Les détails de ce plan rapportés par « The Oxford Institute for Energy Studies » (OIES) sont les suivants :
- Accroissement des importations de GNL par 50 Mds M3
- Accroissement des importations de gaz par gazoduc de 10 Mds M3
- Augmentation de la production de biométhane de 3,5 Mds M3
- Economie par la réduction de la demande de 14 Mds M3
- Economie par l’usage de l’énergie solaire (installations sur les toitures) de 2,5 Mds M3
- Economie par l’usage de pompes à chaleur de 1,5 Mds M3
- Réduction de la demande de gaz dans le secteur de l’électricité à travers l’éolien et le solaire de 20 Mds M3
Ce plan est ainsi appelé :
- A acquérir sur le marché 60 Mds M3 de gaz dont 50 Mds en GNL
- Remplacer 41,5 Mds M3 de gaz dont 27,5 Mds M3 par les ENR.
- Réduire globalement la demande gazière des 27 pays de l’UE de 413 à 375 Mds M3 entre 2021 et 2022.
Si pour l’économie et l’apport d’énergie à partir des sources renouvelables, l’aboutissement de ce plan ne pose pas de problèmes importants à condition que les investissements nécessaires soient rapidement consentis et mis en œuvre, l’importation du gaz naturel ne va pas être aisée pour trois raisons :
L’importation de gaz naturel par gazoduc ne peut provenir que de quatre sources actuellement reliées à l’Europe :
- La première si on peut la considérer comme source d’import, et d’ailleurs la plus « simple » serait le gaz Norvégien ou celui des Pays Bas qui devront donc augmenter leur production et fournir ainsi plus de gaz à l’Europe dont ils font partie. Le gaz Norvégien transite vers le Continent à travers cinq gazoducs à raison d’une moyenne de 80 Mds M3 par an, mais leur taux d’exploitation élevé (86%) pose problème, ce qui a amené l’Allemagne à négocier la construction d’un nouveau gazoduc à partir de la Norvège.
- La deuxième serait l’Algérie, le pays ayant le plus de gazoducs la reliant à l’Europe, avec une exportation d’environ 30 Mds M3 en ce moment vers l’Espagne et l’Italie. Mais dans le cas de ce pays, c’est la capacité de production qui semble faire défaut, surtout dans les délais fixés dans le plan Européen (fin 2022).
- La troisième source même si elle est minime (3,2 Mds M3 par an), mais dispose quand même d’un gazoduc depuis la Libye (gisement de Wafa) vers l’Italie. Or, même si toute sa production venait à être exportée (elle ne suffirait pas à atteindre l’objectif fixé.
- La quatrième source provient d’Azerbaïdjan à travers le gazoduc TANAP / TAP (Trans-Anatolian Pipeline / Trans-Adriatic Pipeline) pour fournir 8 Mds M3 à l’Italie, et 1 Md M3 à la Grèce.
Quant aux 50 Mds M3 de GNL à importer, la situation est beaucoup plus complexe. D’après une analyse récemment faite par l’OIES (Oxford International Energy Institute) la situation se présente comme suite :
- Les importations des 27 pays de l’Europe ont atteint au total 77 Mds M3, auxquels il faut rajouter 31 MdsM3 de la Grande Bretagne et la Turquie. La capacité de tous les pays Européens (15) disposant d’usines de regazéification (y compris la Grande Bretagne et la Turquie) est de 227 Mds M3 mais n’a été utilisée qu’à raison de 47% en 2021. Celle des 27 pays membres de l’UE est de 150 Mds M3 avec un taux d’utilisation de 51% en 2021. A priori on pourrait alors affirmer que le défi est relevable. Mais la répartition géographique de ces capacités et leur liaison avec les réseaux de transport vers les zones dont les besoins sont élevés, indique le contraire. Il suffit de retrancher les capacités qui posent problème en matière de connexion par gazoducs (Espagne-Portugal) pour se rendre compte que celle-ci chuterait à 88 Mds M3, dont 51 ont été importés et regazéifiés en 2021, ce qui ne laisse qu’une capacité résiduelle de 37 Mds M3 à condition que le taux d’utilisation puisse vraiment atteindre les 100%. D’autre part, et à priori, il n’y a que les capacités de transport par gazoducs de la Grande Bretagne, de la France, et de l’Italie, qui sont importantes et pourraient permettre leur utilisation pour approvisionner les pays qui n’en ont pas assez comme l’Allemagne, en privilégiant de leur côté l’importation de plus de GNL. Un pari difficile à atteindre aussi bien en pariant sur ces possibilités que celui de construire de nouvelles capacités avant la fin de 2022. En attendant, l’Allemagne vient de décider la construction d’un nouveau terminal de regazéification à Brunsbuttel d’une capacité de 8 Mds M3, dont il faudra aussi trouver le fournisseur de GNL.
- La deuxième contrainte concerne la disponibilité dans les pays producteurs de GNL, où en dehors des USA dont les capacités augmentent rapidement, ce qui en fait déjà le premier exportateur de GNL vers l’Europe, les volumes de GNL prévus sont en majorité engagés dans des contrats de vente aussi bien avec les pays Européens qu’Asiatiques. L’augmentation récente du prix du GNL en Asie est d’ailleurs un des facteurs qui a encouragé la destination Asie des exportations au détriment de l’Europe, une compétition qui va certainement durer et maintenir un prix très élevé. Seules l’Algérie et l’Egypte un peu moins ont des capacités importantes de liquéfaction, mais elles font face toutes les deux à l’absence ou l’insuffisance de capacités de production de gaz naturel depuis leurs gisements, et à une consommation domestique en forte croissance. Le Nigeria produit déjà au maximum de ses capacités, tandis que les capacités de productions nouvelles sur la côte Est de l’Afrique n’ont pas démarré et seront probablement orientées beaucoup plus vers le marché Asiatique. Quant aux nouvelles découvertes sur la cote Ouest de l’Afrique (Sénégal, Angola), elles ne sont pas encore développées. L’option la plus fiable qui demeure est celle du Qatar dont les réserves et les capacités d’exportation en GNL sont importantes, et appelées à augmenter de 50% d’ici 2027. La visite du Ministre de l’Economie allemand au Qatar vient d’ailleurs de se concrétiser avec un accord pour la construction de deux terminaux de regazéification en Allemagne, dont ferait probablement partie celui de Bruntsbuttel annoncé le 05 Mars 2022.
- La troisième contrainte concerne la disponibilité des méthaniers dont la plupart sont déjà engagés pour exporter les volumes contractuels du Moyen Orient vers l’Asie surtout, d’Afrique et d’Amérique aussi bien vers l’Europe que l’Asie.
La question finale qui reste posée, est celle du risque apparent de recours plus important au charbon à court terme pour garantir le stockage des volumes nécessaires pour l’hiver 2022-2023, et peut être même à moyen terme en cas de retard dans les approvisionnements prévus en GNL.
A long terme, c’est-à-dire à l’horizon 2030 puis 2050, le nucléaire qui n’est plus un tabou, reviendra probablement en force, pas pour remplacer une des sources d’énergie, mais en guise de sécurité. Sa production actuelle en Europe est de 700 TWh et devrait en principe déjà augmenter de 86 TWh rien qu’en 2022. L’AIE prévoit déjà que la puissance de l’énergie nucléaire va doubler à l’horizon 2050 à l’échelle mondiale. Les annonces concernant ce secteur en Europe sont les suivantes :
- Le premier EPR finlandais Olkiluoto-3, un réacteur nucléaire de troisième génération construit par AREVA & Siemens qui vient de démarrer le 12 Mars 2022 avec un premier niveau de puissance installée de 1.650 MW. Il est appelé à couvrir 15% de la consommation électrique de la Finlande, dont la part de production nucléaire atteindra alors 30%.
- Deux autres EPR sont en construction, un au niveau de Flamanville en France, et l’autre à Hinkley Point en Angleterre.
- La France prévoit la construction de 15 autres EPR à l’horizon 2050, pour stabiliser le mix énergétique à 50% d’origine nucléaire.
- La Belgique envisage de reporter sa sortie du nucléaire à 2035 avec un parc de 7 centrales dont deux devaient être arrêtées en principe vers 2025.
l’Allemagne pourrait être amenée à envisager dans les mois à venir le report de l’arrêt des 3 dernières centrales nucléaires prévu se faire en 2022. Il faut rappeler que la politique énergétique allemande « EnergieWende » a permis de ramener son mix énergétique d’une dépendance à raison de 30% du nucléaire en 2000, à seulement 11% en 2020, avec 40% de renouvelable (Eolien & solaire) et 16% à partir du gaz naturel. Mais le charbon demeure important dans ce mix énergétique ce qui va certainement compliquer l’atteinte de l’objectif « neutralité carbone en 2045 » dans la situation actuelle.
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=1195