Dans cette contribution que Mr. Daiboun-Sahel Farouk, Expert Consultant indépendant a bien voulu nous envoyer, il est question de l’état dans lequel se trouve la filière pierre ornementale au sein du secteur des mines en Algérie. De l’avis de l’auteur, son potentiel est susceptible de contribuer largement à la création de richesses et d’emplois dont a besoin l’Algérie, et pourrait même mettre un terme aux importations inutiles dans ce domaine. Il doit simplement faire l’objet d’une évaluation en matière de ressources, d’une révision des textes règlementaires qui le régissent et d’une réorganisation des activités qui le concernent, qu’elles soient publiques, privées ou en partenariat.
« les opinions de cette contribution sont celles de son auteur et n’engagent pas la responsabilité d’Energy Magazine ».
L’Algérie a un riche potentiel en ressources minières très diversifiées, mais encore faiblement exploré, et compte bien relancer leur exploitation et leur valorisation à travers une accélération des programmes de prise en charge, notamment, de certaines filières dont la pierre ornementale.
Beaucoup de spécialistes et économistes considèrent que l’Algérie a un avenir minier prometteur. Cette appréciation justifie largement les moyens à consacrer au secteur minier pour en assurer le décollage économique, en s’appuyant entre autres sur les mines et carrières d’une manière générale, et en impliquant tous les opérateurs économiques locaux et étrangers.
Le contexte économique mondial est de plus en plus complexe et mute sans arrêt, avec des intérêts qui se croisent en Afrique sur son important marché. L’Algérie nouvelle doit par conséquent adopter des options stratégiques à horizon 2025/2030 et entamer une phase d’urgence de déploiement accéléré avec une orientation stratégique minière. C’est dans cet esprit que l’Algérie nouvelle doit se projeter dans son environnement africain et méditerranéen.
Le marché mondial des mines devrait passer de 1641,47 Mds de $ à 1845,55 Mds de $ avec un taux de croissance annuel de 12,4%, selon un rapport de recherche sur les marchés de StoneNewsGlobal UE.
A ce rythme, l’Algérie pourra t-elle se frayer un chemin pour se positionner rapidement sur le marché mondial des produits miniers ? Avec quelle échéance et quelle feuille de route ?
Il faut adopter une approche prospective et anticiper le développement futur du secteur avec une nouvelle vision, et la détermination à se placer plus haut dans la chaine de la valeur ajoutée à travers la production et la transformation des ressources minérales.
C’est à travers ce processus que sera libéré pleinement le potentiel économique des ressources naturelles, pour en faire de ce secteur un moteur et un tremplin capable de contribuer de manière plus importante à la croissance économique hors hydrocarbures du pays.
Les mines et les terres rares peuvent-elles ainsi remplacer notre dépendance du gaz et pétrole? Un intérêt particulier est déjà accordé au secteur des mines à travers :
- La dotation d’une enveloppe de 1,8 milliards de Da pour le lancement de 26 projets à travers 25 Wilayas pour l’exploration et le forage.
- Une convention (ANAM-ORGM) destinée à la mise en œuvre du programme national de recherche et de prospection minière pour la période 2021-2023 qui comprend 26 projets d’exploitation de 13 matières minérales réparties sur 17 wilayas pour un investissement global de 4,8 milliards de Da.
A cet effet, Le Président de la République a demandé “ d’établir immédiatement la carte géologique de tous les gisements exploitables en terres rares, regroupant 17 métaux aux propriétés exceptionnelles, utilisés dans la fabrication des produits de haute technologie, et suscitant une lutte acharnée entre les grandes puissances.
Nous risquons effectivement de sombrer dans une nouvelle dépendance : celle des métaux rares qui sont devenus indispensables au développement de la nouvelle société écologique et numérique.
“ La Chine contrôle environ 80% de l’extraction et plus de 90% de la chaine de transformation des terres rares« .
Cette déclaration prend tout son sens, et c’est pour cela que l’intervention de Mr. le Président revêt un sens particulier. Face aux lenteurs constatées, le Chef d’Etat a instruit d’«accélérer le parachèvement des procédures pour le lancement effectif des différents projets structurants dans l’exploitation minière, notamment, le projet de Ghara Djebilet (gisement de fer) qui devrait consolider l’industrie sidérurgique avec une exploitation estimée à 3,5 milliards de tonnes, grâce au protocole d’accord avec un consortium, et celui de Bled El Hadba (gisement de Phosphate) à Tébessa, en sus d’autres mines et carrières.»
L’objectif est d’accélérer le rythme de la production cartographique pour rattraper le retard cumulé au fil des années en matière de cartographie géologique, outil incontournable pour la connaissance des potentialités minières dont recèle le sol et le sous-sol Algérien. Cette cartographie servira également à la mise à la disposition des investisseurs d’une infrastructure géologique appropriée et fiable pour l’ensemble du territoire national.
Dans cette guerre économique que se livrent les grandes puissances, l’Algérie doit trouver un équilibre subtil qui permettra in fine, d’un côté, de protéger ses secteurs d’activité encore fragiles pas encore en mesure de se confronter à la compétition internationale, et d’un autre côté, de mener une politique agressive, dynamique et compétitive afin de promouvoir ses exportations et attirer les IDE créateurs d’emplois.
La présente contribution sur les produits de la pierre ornementale, du secteur mines et carrières, nous interpelle aujourd’hui plus que jamais pour ne pas risquer de sombrer davantage dans une autre nouvelle dépendance du “made in…” qui pèse sur cette filière alors que le potentiel géologique et minier du pays est en mesure de réduire notre dépendance aux hydrocarbures.
Les actifs de cette filière pierre ornementale sont très importants et pourraient façonner le futur d’une industrie minière avec son potentiel de réserve énorme qui existe déjà aussi bien dans le secteur public que privé, pour asseoir une vision stratégique, et faire émerger cette filière sur le plan économique en un levier majeur de croissance.
Au delà de sa dimension production industrielle, le plan de relance doit concrétiser l’ambition de développement socioéconomique par une croissance soutenue avec, notamment, les nouvelles technologies pour un réel positionnement technologique des supports de développement et modernisation, des opérations de transformation, et des procédés d’exploitation et d’extraction, pour réduire également l’impact environnemental.
La filière doit en premier lieu faire l’objet d’assouplissement des procédures d’octroi de permis d’exploration/exploitation des gisements. Le raccourcissement des délais de traitement des dossiers pour le lacement de l’activité, doit figurer dans l’agenda de la structure en charge, pour recouvrer une dynamique appropriée.
Il y a urgence d’une réorientation de toute la politique de la filière pierre ornementale en Algérie, en passant par de profonds ajustements et réformes structurelles, en passant également par une vision stratégique clairement définie. Aujourd’hui, le pays a besoin de ses Entreprises, de toutes ses Entreprises, qui créent de la valeur et génèrent de la richesse qui doit profiter à tout le monde, à tous.
La filière pierre ornementale est constitutive de notre richesse et potentiel avec un tissu industriel du secteur privé et public qui continuent à investir, en amont et en aval de la pierre ornementale avec une accélération des investissements dans les machines et équipements de traitement de la pierre ornementale, importées d’Italie, et qui ont augmenté de 67,3% par rapport à 2020 durant les sept (07) premiers mois 2021. (Source : Confindustria Marmomacchine Italie).
Pour rappel, l’Algérie figure au 4eme rang des pays de la méditerranée importateurs de blocs de granit, au 2eme rang pour les blocs de marbre, en 2018. Elle figure au 1er rang africain en matière de blocs et produits semi finis. Quant aux exportations, l’Algérie ne figure dans aucun tableau contrairement aux pays proches et voisins avec des quantités, certes, insignifiantes, à l’exception de l’Egypte qui est au 1er rang d’exportateur des pays africains.
La Turquie se classe au 10e rang pour la diversité des minéraux dans le monde, et le pays compte 80 types de mines, 650 couleurs et motifs de marbre et 150 types différents de pierre naturelle, a déclaré Dincer Aydin Dincer, président de l’Association des exportateurs de minéraux d’Istanbul (IMIB).
« La Turquie concentrée en Chine et Etats unis avec des exportations en pierres naturelles respectivement avec 528 millions de $ et 384 millions $, et ce pays exporte de la pierre naturelle vers 171 pays. Les 10 premiers mois 2021 par rapport à 2020, la Turquie a augmenté ses exportations de pierres naturelles de 24%, passant de 1 milliard 393 millions de $ à 1 milliard 730 millions de dollars »(Association des exportateurs de minéraux de la mer Egée, rapporté par le Bureau des analyses des tendances des marchés de l’Association CONFINDISTRIA MARMOMACHINE.
Le célèbre « marbre d’Afyon » en Turquie, produit dans ce district, qui abrite quelque 500 entreprises de fabrication de marbre, est exporté vers 120 pays, ce qui nous rappelle l’exemple du marbre blanc de Filfila aux réserves importantes, de la W.de Skikda, sans “ancrage national” alors que les transformateurs locaux peinent à alimenter leur outil de production.
Des pôles de la filière pierre ornementale peuvent être mis en place à proximité des gisements à fort potentiel, tels que le gisement de marbre de Fil fila (W. Skikda), de Kristel (Sidi Benyabka, W. D’Oran), Tamanrasset, et bien d’autres wilayas. Une étude, à cet effet, pourrait être envisagée avec une école de formation dédiée à cette filière, à l’exemple du site de Carrara en Italie…
Nous sommes loin des réalités des marchés de la pierre ornementale avec des évolutions mondiales. C’est ainsi que se pose la question de savoir que valent nos entreprises notamment à capital public activant dans la filière pierre ornementale, avec un potentiel gisements loin d’être suffisamment exploité. Qu’en est il de leur contribution à l’économie nationale, alors qu’il y a fermeture de quelques carrières dont certaines sont à l’abandon ou totalement à l’arrêt ?
Entretemps il est prévu que la demande mondiale de marbre se developpera avec un taux de croissance moyen de 3,01% en termes de chiffre d’affaires entre 2016 et 2023, et devrait atteindre 68,79 milliards de dollars d’ici la fin 2026. (Source : US Geolocical Survey -USGS-). Et les ressources en pierre du monde sont suffisantes pour répondre aux besoins prévisibles.
Il n’est plus un secret pour personne sur cette situation de la filière pierre ornementale en Algérie dont l’impact ou le résultat escompté semble loin d’être satisfaisant, et continue à souffrir de son immobilisme avec une situation d’extrême vulnérabilité. Elle manque même de perspectives et son mode de gouvernance ne présage effectivement pas d’une amélioration de sa situation, du moins sur les court et moyen terme.
Aujourd’hui, on peut dire sans risque de se tromper, que la filière pierre ornementale n’a en réalité, aucune stratégie pour se développer en amont et en aval, laissant profiter l’import-import dont elle dépend pratiquement au point de vue transformation
Aujourd’hui, la question ne se pose même plus comment on en est arrivé là, tant la réponse est évidente. L’urgence est certes de comprendre le pourquoi de ces nombreux échecs, malgré tous les atouts dont regorge le sous sol algérien, mais surtout de mettre en place un accompagnement managérial et technique de proximité au niveau des professionnels de la filière.
Les industriels de la pierre ornementale en Algérie ont soif d’une croissance robuste et soutenue de leur filière pour faire face aux importations de la matière première au détriment du produit local. Ce dernier est hélas peu disponible, parfois même introuvable, alors que sa ressource naturelle en tant que gisement est abondante. Même sa compétitivité (qualité/prix) est aussi à améliorer.
Un sursaut salutaire digne de l’histoire de la nationalisation des Mines du 06 Mai 1966 s’impose pour la filière pierre ornementale en Algérie, ce grand acquis, on ne le souligne pas assez, c’est aussi la culture du challenge, le sens du défi, cette date du 06 Mai 1966 a ainsi imprégné l’identité profonde de la nationalisation des mines, dont la production a participé aux réussites et à la construction de plusieurs puissances.
La tutelle en charge doit par conséquent multiplier sa proximité avec les opérateurs de cette filière, écouter leurs préoccupations, et les prendre en considération en vue de mettre en place une stratégie participative pour le développement de cette filière de pierre ornementale du secteur mines et carrières.
Il faut en finir avec la logique administrative qui prime actuellement avec certaines propositions et des idées qui reviennent avec de nouvelles anciennes formules, en pensant avoir trouvé tout de suite la solution miracle du genre : « changement du premier responsable d’une EPE » sans le souci d’analyser au préalable la situation de l’entreprise, et les dysfonctionnements internes avec un langage de vérité, puis sans exposer le tableau de bord au nouveau titulaire du poste avant d’envisager les mesures appropriées, à présenter à la tutelle. La conséquence de l’absence d’appel à candidature amène ainsi l’entreprise à poursuivre une évolution dans le même sens sans perspectives ni stratégie. Tel est l’état des lieux, sans vision fortement intégrée à une réalité économique, financière et sociale.
Quelle solution? Nous disposons d’hommes et de femmes avec des nouvelles compétences qui connaissent très bien cette filière de la pierre ornementale. Leurs capacités doivent être mobilisées dans un cadre d’intelligence collective pour pouvoir relancer l’activité, la croissance, la création de richesses et d’emplois durables, et contribuer ainsi à minimiser la facture des importations de la matière première. Il faut aussi faire appel conjointement à l’expertise et aux compétences des bureaux d’études, des experts spécialisés et bien d’autres cadres avant d’envisager toute mise en place de réformes et de mécanismes d’exécution afin d’éviter que les mêmes idées reviennent.
La méconnaissance de la filière de la pierre ornementale ne fera qu’accentuer le retard dans sa relance, et mettra en péril toute l’infrastructure géologique existante.
En principe, l’Algérie dispose de tous les atouts naturels pour non seulement s’auto-suffire en pierre ornementale pour sa consommation intérieure globale, mais aussi construire sa compétitivité par rapport à l’importation de ces besoins, et pourquoi pas développer l’exportation de sa production industrielle. La satisfaction du marché local ne dépasse pas actuellement les 28% en pierre ornementale locale.
Est-il besoin de rappeler :
- Que certains operateurs locaux continuent à importer, en une ou deux livraisons, de la matière première sous forme de blocs de marbre, avec un volume que peut produire une EPE durant presque deux (02) années.
- L’importance des quantités de matières premières et de produits semi finis (marbre et granit) importés de divers horizons (aux taux de tarification douanière (TD) inappropriés), destinés au secteur de la transformation, puis exposés à la commercialisation.
- Que le marché local fournît un signal très imparfait en encourageant cette destruction d’un « capital » en matières premières inexploitées aussi longtemps que cette offre répond à la demande.
Tout semble être en attente, à l’expectative, devant cette situation avec d’autres fournisseurs étrangers qui continuent à guetter aussi ce marché local, en absence de tout protectionnisme suffisamment étudié. Le marché Algérien est sauvagement ouvert à la concurrence européenne, asiatique et africaine, contribuant à marginaliser et à mettre hors circuit nos produits locaux et anéantir tout développement de croissance hors hydrocarbures avec les produits de la pierre ornementale locale, à l’image d’autres pays qui exportent avec une importante valeur ajoutée.
Seul un diagnostic stratégique profond basé sur :
- Une évaluation des ressources en matières premières disponibles et exploitables localement, ainsi que le savoir-faire du terrain.
- Un diagnostic et une analyse du comportement des marchés, des avantages et repères de résilience économique, et des perspectives en phase avec les intérêts nationaux.
- L’écoute des professionnels de la filière.
Pourrait alors contribuer à sortir la filière de l’impasse dans laquelle elle se trouve.
Certaines des EPE en charge d’approvisionner, en matière première, les unités de transformation du marbre/granit sont devenues extrêmement préoccupantes, avec des situations lourdement supportées par le contribuable en restant dans le giron de l’état.
Malgré toutes les restructurations et les assainissements consentis par l’Etat, elles n’ont pas pu atteindre leurs objectifs, ce qui met en doute une énième réforme avec la même organisation, la même dimension économique, et leur maintien sous perfusion de l’aide du Trésor Public, qui éprouve de plus en plus de difficultés pour les soutenir.
L’Entreprise est certes le principal vecteur de création de richesse et d’emploi, mais quand elle souffre de sérieux problèmes de gouvernance et de management, incapable de créer une économie de l’offre, elle ne peut ni gérer correctement ni attirer des investissements, et encore moins contribuer au PIB du pays.
Dans le cas présent, le problème est par conséquent structurel et il ne peut trouver de solution que dans les reformes structurelles de transformation.
Il y a urgence d’une réorientation de toute la politique de la filière pierre ornementale en Algérie, en passant par :
- De profonds ajustements et réformes structurelles.
- Une vision stratégique clairement définie.
- Des Entreprises qui créent de la valeur et génèrent de la richesse qui doit profiter à l’économie du pays en mettant un frein à l’importation inutile.
Cette présente réflexion est développée dans les limites de cette modeste contribution, elle ne prétend pas apporter une réponse exhaustive aux multiples questionnements de la filière pierre ornementale en Algérie, ni être considérée comme une évaluation précise, et tant qu’il est évident que tout avis, enrichissement dans ce domaine relève d’un débat qui reste à organiser.
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=975