Sonatrach s’apprête à reprendre ses opérations en Libye, où elle a déjà beaucoup investi dans l’exploration et le développement de champs pétroliers. A la demande d’Energy Magazine, Ahmed Mecheraoui, ancien Vice-Président de Sonatrach, ancien représentant de Sonatrach en Libye et actuellement Managing Director du Cabinet PETRO DEUX MILLE, nous parle dans cet entretien de l’énorme potentiel d’hydrocarbures en Libye, des modalités du partenariat dans ce pays ainsi que des actifs et des préalables au retour de Sonatrach pour reprendre ses activités en suspens.
La Libye est considérée en Afrique du Nord comme l’un des pays dont le potentiel de production en pétrole et gaz est très important. Pouvez-vous nous décrire ce potentiel et sa situation actuelle ?
Avec plus de 48 milliards de barils de réserves prouvées de pétrole (2019) la Libye dispose des plus importantes réserves de pétrole d’Afrique.
Avec ce niveau de réserves de pétrole, qui représentent 3% des réserves mondiales, la Libye occupe respectivement le 1er rang en Afrique et le 9ème rang à l’échelle mondiale.
A la veille de la guerre civile déclenchée en 2011, la production de pétrole de la Libye était de 1,88 million de barils par jour donnant ainsi à la Libye plus de 60 années de réserves à ce rythme de production et en l’absence de nouvelles découvertes.
Il faut rappeler que dans sa stratégie de 2006 la Libye prévoyait d’augmenter à moyen terme sa production pour atteindre 3 millions de barils/jour à l’horizon 2012/2013.
En juin 2020, le ministre libyen du Pétrole Mohamed Oun a déclaré que le pays espérait augmenter la production pétrolière à 4 millions de barils par jour, d’ici un an. L’objectif initial pour l’année 2021 était d’environ 2 millions de barils par jour
La guerre civile déclenchée en 2011 a eu un important impact sur la production de pétrole qui était tombée à 200 000 barils/jour pour remonter progressivement depuis 2017.
En mars 2021, La production Libyenne de pétrole a été de 1,28 millions de barils/jour.
Pour ce qui est du gaz, la Libye possède également des atouts dans la mesure où ses réserves prouvées sont de l’ordre de 1600 milliards de mètres cubes, ce qui classe le pays au 4ème rang des pays d’Afrique. Un gazoduc relie la Libye à l’Italie pour l’approvisionnement en gaz Libyen de ce pays.
Avec plus de 48 milliards de barils de réserves prouvées de pétrole
la Libye dispose des plus importantes réserves de pétrole d’Afrique.
Est-ce que ce potentiel qui reste à explorer et à développer est aussi important, en pétrole ou en gaz ou les deux, y compris en hydrocarbures non conventionnels ?
Ces dernières décennies, la Libye a vécu des périodes difficiles d’embargo et de guerre civile qui n’ont pas été favorables à l’investissement notamment dans les activités de l’exploration pétrolière et gazière. Ce n’est qu’entre 2005 et 2010 que cette activité a été relancée à travers l’attribution de plusieurs blocs à des sociétés internationales dont Sonatrach.
Durant cette période plusieurs découvertes sont annoncées, malheureusement les activités ont été stoppées à cause de la guerre civile déclenchée en février 2011. Tous les contracteurs ont déclaré la force majeure. Ce n’est que récemment que la reprise des activités est annoncée, certains opérateurs internationaux sont déjà sur place. Sonatrach a annoncé également son retour en Libye sans préciser de date.
Tout ceci pour dire que, faute d’investissement dans l’exploration pétrolière et gazière durant très très longtemps, il est permis d’imaginer que le potentiel qui reste à explorer est certainement important sinon très important. Il doit concerner et le pétrole et le gaz dans ses formes conventionnelles et non conventionnelles.
Pour illustrer cette idée, Une société internationale qui a obtenu en 2005 un bloc dans le bassin de Ghadames a pu réaliser, entre 2005 et 2009, 19 découvertes avec un taux de succès de 100%.
Vous avez passé une partie de votre carrière en tant que responsable de la branche Sonatrach en Libye, pouvez-vous nous parler de l’organisation des activités pétrolières en Libye et des conditions de partenariat dans ce pays ?
En mars 2005, suite à la signature du contrat d’association pour le bloc 65, situé dans le bassin de Ghadames, par Sipex filiale de Sonatrach et la National Oil Corporation (NOC), la société pétrolière nationale de la Libye, j’ai été désigné par Sonatrach pour mettre en place et diriger la branche Libyenne de SIPEX (Sipex Libyan Branch).
La principale mission de la société Sipex Libyan Branch était de mettre en œuvre le contrat d’association pour le bloc 65, d’établir les budgets et les programmes annuels soumis à l’approbation du Management committee et de conduire les opérations pétrolières de sismique (acquisition, traitement et interprétation) et de forage.
En 2008, la mission de Sipex Libyan Branch s’était élargie pour prendre en charge la mise en œuvre du deuxième contrat d’association signé d’une part par Sonatrach (50%) et ses partenaires Oil India (25%) et Indian Oil (25%) et par la National Oil Corporation (NOC) d’autre part. Sonatrach ayant la qualité d’Opérateur.
Il faut rappeler que le processus d’attribution des contrats d’association repose sur des appels d’offres lancés par la NOC dans le cadre de l’EPSA IV. Le premier appel d’offres a été lancé, suite à la levée de l’embargo, en 2004 et les contrats signés en 2005. D’autres appels d’offres ont suivi les années d’après.
Concernant l’organisation des activités pétrolières en Libye, elles se basent sur des sociétés opératrices enregistrées en Libye.
Dans sa phase d’exploration le contrat d’association est exécuté par la branche libyenne de la société étrangère laquelle est dirigée par un Directeur Général désigné par la partie étrangère et un Management Committee (Conseil de Gestion) composé de quatre membres (2 membres représentant NOC et 2 autres membres représentant la partie étrangère). Le Management Committee est présidé par l’un des représentants de NOC.
En cas de découverte commerciale, les 2 parties NOC et la partie étrangère créent une nouvelle société d’exploitation basée en Libye et dirigée par un directoire composé du Président (Directeur Général) désigné par NOC, d’un premier Vice-président désigné également par NOC et d’un deuxième Vice-Président désigné par la partie étrangère. La société obéit aux règles de fonctionnement d’une société indépendante ayant ses propres organes sociaux (Conseil d’Administration et Assemblée Générale). Cette société joue le rôle d’Opérateur pour le compte des associés NOC et la partie étrangère.
Concernant les conditions de partenariat, elles sont définies à travers une règlementation spécifique et un processus d’appels d’offres ouvert. C’est NOC qui a la charge de la promotion des blocs et de la signataire et du suivi des contrats d’association. NOC n’a pas la qualité d’Opérateur, cependant elle coiffe toutes les autres sociétés d’exploitation qui sont considérées comme ses filiales.
Pensez-vous que ce pays va finir par se redresser et s’ouvrir pour devenir éventuellement un acteur pétrolier majeur dans la région ?
Certainement, le pays va finir par se redresser et reprendre le chemin de l’investissement pour être un acteur pétrolier et gazier majeur dans la région. Son important potentiel en hydrocarbure déjà connu intéresse en premier lieu la Libye elle-même pour en tirer des bénéfices et assurer sa sécurité énergétique. L’exploitation de ce potentiel nécessite de l’investissement et surtout de la technologie que les sociétés étrangères peuvent introduire dans le pays. C’est pourquoi le recours au partenariat me parait incontournable.
Sonatrach vient d’annoncer son retour imminent en Libye après une dizaine d’année de retrait dans un cas de force majeure. Pouvez-vous nous préciser les travaux antérieurs réalisés par elle en Libye, les résultats obtenus, et l’opportunité de revenir en ce moment en Libye ?
Sonatrach opère en Libye au niveau de deux blocs situés dans le bassin de Ghadames, le bloc 65 à 100% qui a déjà fait l’objet d’un rendu partiel et le bloc 95/96 en partenariat avec Oil India et Indian Oil. Dans le bloc 65 des travaux de sismique terrain et deux forages ont été réalisés avec une découverte de pétrole annoncée en 2010. Un programme de travail était prévu pour déterminer la commercialité de la découverte et l’établissement d’un plan de développement.
Pour le bloc 95/96 des programmes sismiques et le forage de plusieurs puits d’exploration ont été réalisés. Plusieurs découvertes de gaz ont été annoncées. Ces découvertes nécessitent des travaux de délinéation qui doivent être faits.
Les activités ont malheureusement été gelées depuis une dizaine d’année à cause des problèmes de sécurité. Aujourd’hui si des garanties de sécurité lui sont données, ce qui semble être le cas, Sonatrach doit revenir le plus rapidement possible et reprendre ces activités pour passer à l’exploitation des découvertes réalisées et poursuivre l’effort d’exploration notamment pour le bloc 95/96.
Source : https://www.energymagazinedz.com/?p=961